Mathieu Denis et Simon Lavoie ont vécu cette semaine un stress différent de celui qui les animait l'été dernier à Karlovy Vary, où leur film Laurentie a été présenté en primeur mondiale. Au Festival du nouveau cinéma, Laurentie était soumis au jugement du public auquel il s'adresse d'abord et avant tout. Et le portrait qu'il nous propose n'a rien de réjouissant.

«On ne cachera pas que ce film est lourd à porter, reconnaît Mathieu Denis. On craignait qu'il soit mal compris. S'il est mal interprété, il peut avoir quelque chose de choquant.»

Simon Lavoie, qui compte notamment Le déserteur à son actif, rappelle qu'à l'étape de sa conception, Laurentie suscitait déjà des commentaires acerbes.

«Notre premier objectif était d'atteindre nos compatriotes. Nous sommes bien conscients que ce film n'est pas «aimable», mais on souhaite que les gens s'y intéressent quand même. Si on se fie à la réaction de ceux qui l'ont vu au FNC, Laurentie arrive au bon moment. Nous nous interrogeons sur des choses auxquelles beaucoup de gens réfléchissent aussi, mais qu'ils n'arrivent pas à cerner de façon précise.

Laurentie relate le parcours d'un jeune homme (Emmanuel Schwartz) dont le mal-être existentiel et sexuel - parfois illustré de façon très franche - fait écho à la crise identitaire aiguë que traverse depuis toujours «la Belle Province». Divisé en chapitres, construit à la faveur de longs plans-séquences où les dialogues sont réduits au minimum, Laurentie emprunte une approche assez radicale, tant en ce qui concerne le propos que le plan de la mise en scène. De très beaux extraits de poèmes sont insérés dans le récit. Les élans poétiques d'Anne Hébert, Marie Uguay, Saint-Denys Garneau, Hubert Aquin et bien d'autres mettent ainsi en exergue l'impasse dans laquelle est coincée notre question nationale.

«Nous sommes partis du malaise que nous ressentons nous-mêmes, expliquent les réalisateurs. Le nôtre, ainsi que celui des gens autour de nous, particulièrement ceux de notre génération. L'apathie, le désengagement, l'immobilisme. Ce sentiment de ne plus avoir de prise sur le monde dans lequel on vit, et d'être résigné au fait que la société québécoise soit sclérosée à ce point.»

En voie d'extinction

Les deux auteurs cinéastes estiment que la situation est grave. Et qu'à moins d'un électrochoc, la société québécoise est appelée à disparaître.

«Il y a toujours ce flou identitaire qui nous empêche de vraiment prendre notre place, analysent-ils. On s'ouvre sur le monde, mais, comme nous sommes incapables de nous définir en tant que peuple, il y a toujours ce petit quelque chose de trouble par rapport à l'autre. Quand tu n'as pas d'identité propre, tout ce qui vient d'ailleurs fait peur. On a déjà dit non deux fois à notre souveraineté, mais on refuse de souscrire à l'identité canadienne. On a voté en masse pour le NPD au fédéral et on s'apprête à voter en masse pour François Legault. On se retrouve toujours isolés d'une certaine façon.»

Le terme «Laurentie» fait écho au nom d'un pays fantasmé qu'évoquaient les premiers intellectuels indépendantistes dans les années d'avant-guerre. Ce mot est chargé de sens puisque quelques-uns de ces intellectuels épousaient des idées liées à l'extrême droite.

«Nous voulions utiliser ce titre comme contrepoint, dit Mathieu Denis. Presque comme un avertissement. Parce que l'intolérance naît souvent de la frustration. Et cela pourrait revenir facilement au Québec. Nous l'avons vu dans le récent épisode des accommodements raisonnables. Mais «Laurentie» fait surtout écho à la notion de territoire.»

«Le fait d'avoir fait ce film - très sombre, nous en convenons - prouve toutefois que nous ne sommes pas complètement fatalistes, nuance Simon Lavoie. Il n'en tient qu'à nous de ne plus tolérer cette médiocrité. Notre culture est la seule chose qui nous empêche de tomber dans le précipice. Il faut combattre ceux qui veulent sabrer là-dedans parce que c'est une question de survie. On souhaite que ce film suscite la discussion.»

Laurentie prend l'affiche le 28 octobre à Montréal et sera disponible le même jour sur le service de vidéo sur demande d'Illico.