Notre chroniqueur a rencontré Tran Anh Hung, réalisateur de Norwegian Wood (La ballade de l'impossible), lors de son passage au Festival du nouveau cinéma, cet automne.

Tran Anh Hung, cinéaste d'origine vietnamienne installé en France depuis son adolescence, s'est fait connaître grâce à sa splendide trilogie vietnamienne: L'odeur de la papaye verte (Caméra d'or 1993 à Cannes), Cyclo (1995) et À la verticale de l'été (2000).

Après un hiatus de plus d'une décennie, en raison d'un conflit avec un producteur, on le retrouve à la barre de Norvegian Wood, à l'affiche vendredi.

Cette histoire d'amours torturés, campée dans le Japon des années 60 à l'époque des révoltes étudiantes, est une adaptation du roman sulfureux d'Haruki Murakami, La ballade de l'impossible

Qu'est-ce qui vous a attiré vers cette oeuvre de Murakami?

C'est une très belle histoire. Elle fait partie des oeuvres que j'appelle «d'expérience», qui relatent des expériences passionnantes de la vie. C'est la découverte de l'amour, puis sa perte et le chagrin. Ce sont des thèmes tellement fondamentaux dans nos vies que ça m'a bouleversé. La manière dont il décrit les personnages, avec une telle tendresse, c'est ce qui m'a séduit.

Cela a-t-il été difficile de le convaincre de vous faire confiance pour l'adaptation?

C'est lui qui a donné les règles. Il demandait simplement de pouvoir lire le scénario.

Le processus a-t-il été compliqué?

Ça a été simple. Après avoir lu une première version du scénario, il m'a donné beaucoup de notes. C'était très généreux de sa part. Il y a des éléments qu'il m'a suggérés que j'ai gardés dans le film et qui n'étaient pas dans le livre. Après, il m'a dit: «Fais le film que tu as envie de faire.» Je ne l'ai revu qu'une fois après avoir monté le film, lorsque j'ai eu envie d'avoir son avis. Il m'a fait d'autres remarques dont j'ai tenu compte. Mais ce n'était pas un contrat. Il aime beaucoup le film.

Comment votre film se distingue-t-il du roman?

C'est forcément différent parce que c'est une autre approche. J'espère simplement que les émotions évoquées sont intactes. Je cherche dans un film à provoquer une émotion que seul le cinéma peut susciter. Il y a beaucoup de choses que j'ai dû supprimer du livre parce que dans un film, cela aurait été répétitif ou ça nous aurait fait sortir de la psychologie du personnage principal.

Certains ont trouvé la sexualité plus crue dans le roman que dans le film. Vous restez davantage dans l'évocation...

Oui. C'est très différent. La sexualité me pose toujours problème au cinéma. Ce n'est pas une question de pudeur. Quand on filme, il y a toujours un angle qui cache quelque chose. Du coup, l'image que l'on voit n'est plus innocente. On sent trop le calcul. Ce n'était pas envisageable pour moi. Heureusement, j'ai été aidé par l'histoire elle-même. Dans le livre, chaque fois que les personnages font l'amour, il y a tellement de problèmes psychologiques que je me suis concentré sur ce qui se passe dans leur tête. Naturellement, j'ai filmé ces visages en souhaitant que ce soit le plus sensuel possible. Mais j'ai cherché effectivement à éviter la nudité parce que c'est trop calculé comme image. On perd de l'innocence.

Vous faites un film qui se déroule dans un Japon d'une autre époque. Était-ce un défi?

Je suis familier avec la culture japonaise. J'aime le cinéma japonais. À l'époque, je lisais absolument tout ce qui se traduisait en littérature japonaise, en France. Mais plus on est familier avec cette culture, moins on peut dire qu'on la connaît, car elle reste assez mystérieuse.

On vous présente souvent comme le cinéaste emblématique du Vietnam, que vous avez quitté à 13 ans. Êtes-vous à l'aise avec cette étiquette?

Ce n'est pas une position qui me gêne, mais je suis extrêmement fuyant par rapport à ça. Je ne fréquente pas le milieu du cinéma, ni en France, ni au Vietnam. Je fréquente des peintres, des musiciens. Je me sens un peu à l'écart et j'aime bien rester ainsi. Je ne veux pas me sentir dans le confort d'une famille. Plutôt être orphelin. Un sentiment d'inconfort qui vous tient en éveil. J'ai besoin de cet éveil-là pour être plus incisif dans ce que je fais.