Dans une RDA obsédée par son désir de contrôle social, des jeunes avaient choisi le skateboard comme étendard de leur liberté: un documentaire inventif et émouvant, It ain’t California, présenté dimanche à la Berlinale, retrace leur petite histoire imbriquée dans la grande.

Nul ne sait vraiment où et comment le premier skate, symbole honni du loisir à l’américaine, est apparu en République démocratique d’Allemagne.

Certains en ont bricolé en essayant de copier ceux qu’ils voyaient en piratant la télévision de RFA, d’autres, plus chanceux, les ont obtenus de leurs parents qui, privilégiés, avaient des contacts avec l’Ouest.

L’incursion de la petite planche dans la vie de ces adolescents a en tout cas changé leur quotidien et symbolisé une forme de rébellion face à un régime ultra-corseté dans lequel ils étouffaient.

«Ca n’a pas été un mouvement d’une ampleur massive, quelque chose d’historiquement significatif», résume le réalisateur, Marten Persiel, 37 ans, «mais en fonction de l’angle de vue, on peut y trouver quelque chose de très marquant».

Le documentaire, innovant dans sa forme avec ses images d’animation et sa bande-son, suit la trajectoire d’un groupe d’amis réunis autour de cette passion, de leur enfance au début des années 80 à leur post-adolescence à la chute du Mur. Il tire notamment sa force des centaines de rushes issus des films Super 8 tournés par la petite bande.

Le spectateur suit leurs exploits sur Alexanderplatz à Berlin-Est, royaume du béton et paradis de la glisse urbaine. Il entre aussi dans leur intimité : les fêtes déjantées, les filles, l’alcool, la musique... En creux se dessine le portrait d’une jeunesse est-allemande hédoniste et libérée.

Et c’est justement ce que voulait montrer Wildfremd Productions, la petite société de production berlinoise, montée pour le film. «On avait déjà vu beaucoup de choses sur la RDA, la Stasi (la sécurité d’État), beaucoup de gris, beaucoup de violence, etc. Le skate n’avait carrément rien à voir avec ça», explique Marten Persiel.

«Les gars avaient simplement envie de s’amuser», résume Ronald Vietz, 34 ans, l’un de ces skaters, devenu aujourd’hui l’un des producteurs du film.

Entre la vie du groupe et le système, le contraste est violent: aux arabesques des skaters répondent les défilés martiaux des sportifs en uniforme.

Et on hésite entre rire et larmes en regardant ce présentateur de la TV officielle dénoncer les skaters, ces ambassadeurs de «l’agressivité de l’industrie américaine du loisir» dont «l’individualisme» et «l’immoralité» sont autant de menaces.

Ce décalage s’incarne dans le parcours de Dennis, figure solaire dont le destin sert de fil rouge: doué pour la natation, il était voué à devenir l’un de ses champions fabriqués à la chaîne par la RDA, un rêve qu’avait pour lui son père, entraîneur. Il rompra radicalement avec ce projet, lui préférant le skate.

Après avoir fustigé le phénomène, le régime tentera bien de le récupérer, créant des clubs avec cartes de membres, horaires d’entraînement et compétitions en bonne et due forme, allant jusqu’à produire le premier skate est-allemand, le «Germina speeder», mais la greffe ne prendra pas.

Il a fallu «deux ans de recherches intensives» à l’équipe du film pour retrouver les protagonistes de cette aventure, raconte Vietz.

L’histoire, la grande, a en effet tout bouleversé, dispersant les skaters. À la chute du Mur, «ce qui a changé, c’est qu’on se retrouvait tout seul», se souvient-il.

«Tout le monde était préoccupé par son propre sort et se demandait comment faire sa vie à l’ouest». Ils ont presque tous arrêté le skate. Ils sont devenus adultes dans l’Allemagne réunifiée.

Sans verser dans l’Ostalgie (la nostalgie de certains aspects de la vie quotidienne en RDA), «It ain’t California» redonne de la couleur aux souvenirs de cette génération.