Dans une décision administrative sans précédent, le distributeur canadien Alliance a décidé de faire payer les médias pour avoir accès à certaines grandes vedettes qui iront pavaner sur la Croisette pour vendre leurs films au Festival de Cannes.

Pour Brad Pitt, tiens, ce sera la rondelette somme de 2500 euros, soit autour de 3200$. Même montant pour les autres vedettes du film Killing Them Softly, à savoir Scott McNairy, Richard Jenkins, James Gandolfini, etc.

Et ça, c'est pour les médias écrits qui veulent une entrevue en tête à tête avec la vedette de leur choix. Pour les entrevues télé, c'est 3000 euros. Les médias écrits vivant dans l'indigence peuvent toujours se payer des entrevues en table ronde à 2000 euros.

À côté de la bande à Brad Pitt, les acteurs du film On the road (Sur la route) se monnayent pour presque rien. Mille euros pour les médias écrits souhaitant des entrevues en tête à tête avec le réalisateur Walter Salles ou un des principaux acteurs (Sam Riley, Garrett Hedlund et Kristen Stewart), 1500 euros pour le paquet de quatre pour la télévision ou 750 euros pour une table ronde.

La nouvelle, publiée par le journaliste Liam Lacey dans le Globe and Mail, n'a pas manqué d'avoir de larges échos dans le monde des médias. Car d'ordinaire, les médias ne paient pas pour obtenir des entrevues avec les vedettes de cinéma.

Au contraire, les médias - dont La Presse - acceptent que les distributeurs tels Alliance, Séville ou Métropole paient les déplacements, les chambres d'hôtel et les repas des journalistes pour faire des entrevues durant des séances de promotion (junkets) de film ou pour la visite d'un plateau de tournage. Cette pratique, aussi courante dans la section des voyages, est proscrite par le code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) mais très répandue.

Différent cette fois

Que s'est-il donc passé pour en arriver à cette situation surréelle? Chez Alliance, la vice-présidente aux communications Annie Tremblay, se défend d'instaurer une nouvelle pratique.

«Cela fait longtemps que les distributeurs paient pour avoir accès à des vedettes de films, dit-elle. Lorsque nous envoyons par exemple des journalistes à Los Angeles, les coûts du voyage comme l'accès aux vedettes sont à nos frais. Nous ne payons pas toujours les vedettes mais ça arrive de plus en plus souvent. Et à un endroit comme Cannes, ces célébrités arrivent avec leur agent, leur coiffeur, leur maquilleur, etc. Ça coûte cher. Dans le passé, nous avons déjà payé pour des rencontres à Cannes. Mais cette fois-ci, les deux films dont il est question seront présentés au Festival de Toronto en septembre. Or, à Toronto, c'est nous qui organisons les rencontres et nous n'aurons rien à débourser pour avoir accès à ces comédiens.»

Lorsqu'on lui dit qu'il s'agit là d'une décision administrative, Mme Tremblay répond que non. «Alliance a choisi d'aviser les journalistes canadiens et québécois allant à Cannes que ces vedettes étaient disponibles (les places sont limitées) mais qu'il fallait payer. J'aurais pu simplement dire qu'il n'y avait aucune entrevue disponible et attendre Toronto.»

Nouvelle politique ou non, le président de la FPJQ, Brian Myles, qualifie la situation de «très préoccupante».

«Il y a un principe simple voulant que nous n'ayons pas à payer pour avoir accès à de l'information, dit-il. Que de petits jeux de coulisse s'installent ne change rien à ce principe. Si les médias commencent à embarquer dans ce jeu, on va se retrouver un jour où seuls les plus gros auront accès aux célébrités. On ouvrirait ainsi la porte à une mercantilisation de l'information où nous serions tous perdants.»

À Cannes, Alliance organise aussi des rencontres médiatiques avec les artisans des films Laurence Anyways de Xavier Dolan, Antiviral de Brandon Cronenberg et Lawless de John Hillcoat. Et ce, sans frais.