Avec ses personnages sans filet dans la tourmente, aux émotions grattées jusqu’à l’os et filmés au ras de la peau, Jacques Audiard s’est offert jeudi un retour remarqué à Cannes et une entrée triomphale pour Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts dans la compétition.

De rouille et d’os, qui sortait simultanément dans les salles françaises, parle d’individus en crise dans un monde âpre «au bord de la barbarie» selon Audiard, qui feront chacun un pas vers l’autre pour continuer d’avancer et grandir, ensemble.

Stéphanie, dresseuse d’orques au Marineland d’Antibes et «princesse arrogante» des discothèques de la Côte perd ses jambes dans un accident de travail. Pour se relever elle s’appuie sur Ali, jeune père en rupture venu du nord, vigile bagarreur et taiseux, boxeur à l’occasion, croisé du temps de sa splendeur.

À force de souffrances, de renoncements et d’amères batailles contre son coeur et son corps résistants, «elle va découvrir qu’elle peut s’abandonner et, lui, apprendre à se servir des mots, à dire qu’il aime», résume Jacques Audiard, apparu rayonnant avec ses acteurs lors de la conférence de presse.

«Des destins simples, magnifiés par les accidents, qui luttent pour s’extraire de leur condition», complète son scénariste et complice Thomas Bidegain, qu’a inspiré une nouvelle américaine de Craig Davidson.

Après Un prophète, Grand Prix à Cannes 2010, capté dans l’univers confiné des prisons, sombre et masculin, le réalisateur souhaitait renouer avec les femmes, les grands espaces et la lumière, qu’il a trouvés à deux pas d’ici sur la plage de Cannes - parce que les seuls orques de France résident au Marineland d’Antibes.

Traversant le film comme une lame dans la chair, Marion Cotillard semble opérer la même translation de l’ombre vers la lumière, terrassée, emmurée et grise, (re)marchant lentement, solaire, vers la force, l’énergie.

«Marion est une actrice très virile et très sensuelle, avec une autorité de jeu qui la rendait, seule, capable de passer de l’autre côté du mur» assure Audiard en expliquant pourquoi il la voulait elle, la star Oscarisée, ancrée à Hollywood depuis La vie en rose.

«Peu de comédiennes auraient été capables de se jeter là dedans en restant essentiellement féminines» insiste-t-il, saluant par ailleurs la technologie qui permet aujourd’hui d’oublier les effets spéciaux nécessaires pour escamoter les jambes de Marion-Stéphanie (des bas verts effacés en postproduction).

Pour Marion Cotillard, ce furent d’abord de longues heures de natation sans les bras, puis une canne pour donner cinématographiquement corps au handicap «alors que les gens munis de prothèse marchent très bien et sans boiter».

Quant à Matthias Schoenaerts - déjà admiré dans Bullhead -, c’est l’impression de force physique, de puissance qu’il dégage qui a attiré le réalisateur, parti initialement pour «caster» un non professionnel dans un club de boxe. «Mais ça devenait trop réaliste».

Salué avec force et tendresse par sa partenaire et déjà coqueluche de la Croisette - bien parti pour remplacer Ryan Gosling de l’édition 2011 dans le coeur des festivaliers -, l’acteur a travaillé des mois avec un coach pour devenir ce boxeur déclassé qui combat pour les parieurs, tout autant que ce père qui rompt la glace - au sens propre - à coups de poings et habite l’écran de ses larges épaules. Le coeur plein, mais ignorant de toute pitié ou compassion.

Avant de quitter la salle conquise, Jacques Audiard, premier des trois Français en compétition, a confié se sentir justement «très cinéaste français. Un prototype de cinéphile français aussi, espèce dont la disparition a été signalée dans les années 80. Je viens de là, oui».