Le très beau film Amour, qui marque la rencontre au sommet des comédiens Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant, a reçu dimanche le plus beau laurier du Festival de Cannes. Seulement six des 22 longs métrages en lice ont toutefois été primés.

Le cinéaste autrichien Michael Haneke, «le plus grand metteur en scène vivant» selon Jean-Louis Trintignant, a marqué l’histoire du Festival de Cannes en obtenant avec Amour une deuxième Palme d’or trois ans seulement après avoir obtenu sa première grâce au Ruban blanc. Jamais un cinéaste n’avait joint le club sélect des «doubles palmés» aussi rapidement.

Dans ce film écrit spécifiquement pour Jean-Louis Trintignant, qui est exceptionnellement sorti de sa retraite du cinéma pour le tourner, Haneke raconte, sans complaisance aucune, la vie d’un couple de personnes âgées le jour où l’un des deux amorce une lente agonie. Comme toujours dans le cinéma d’Haneke, la mise en scène d’Amour est marquée d’une extrême précision, d’une rigueur exceptionnelle, et de compositions sublimes des acteurs en présence.

Avant d’annoncer le titre du film lauréat de la Palme d’or, Nanni Moretti a d’ailleurs tenu à souligner la «contribution fondamentale» des deux acteurs principaux. Plus tard, lors de la conférence de presse des membres du jury, le président a expliqué qu’en vertu d’un nouveau règlement, il était impossible d’attribuer des prix d’interprétations aux acteurs d’un film lauréat de la Palme d’or. «C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à souligner l’apport d’Emmanuelle Riva et de Jean-Louis Trintignant», a-t-il dit.

Montant sur la scène en compagnie du cinéaste, les deux acteurs ont pris la parole.

«Notre action, c’est un partage de vie, a lancé Emmanuelle Riva, l’inoubliable interprète d’Hiroshima mon amour. Garder cela pour soi tout seul, ça manquerait de charme!»

Jean-Louis Trintignant a de son côté tenu à lire un «petit poème, tout petit» de Jacques Prévert. «Et si on essayait d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple?»

Michael Haneke, qui dit assumer son statut «romantique», a dédié la Palme à son épouse, avec qui il vit depuis 30 ans. «Ce film est un peu l’illustration de la promesse que nous nous sommes faite», a-t-il déclaré.

Mungiu l’autre vainqueur

L’autre grand lauréat de la soirée fut le cinéaste roumain Cristian Mungiu (Palme d’or 2007 grâce à 4 mois, 3 semaines, 2 jours). Son excellent film, Au-delà des collines, lui a valu le prix du meilleur scénario, et les deux actrices, Cristina Flutur et Cosmina Stratan ont obtenu le prix d’interprétation féminine. Les jeunes femmes, mines ahuries, semblaient carrément atterrir sur une autre planète. «Nous sommes tellement surprises! On descend tout juste de l’avion!», ont-elles lancé avant de remercier leur réalisateur.

L’acteur danois Mads Mikkelsen fut choisi grâce à sa performance dans Jagten (La chasse). Dans ce drame de Thomas Vinterberg, Mikkelsen incarne un homme injustement accusé d’abus sexuel sur une fillette. L’annonce fut suivie d’une très belle ovation. L’exploit est de taille car la sélection a été marquée cette année par plusieurs performances masculines dignes de mention. «Je partage ce prix avec tous ceux qui sont parvenus à faire des films au cours de l’année!».

Le film italien Reality, réalisé par Matteo Garrone, a créé la surprise en décrochant le Grand Prix, soit le deuxième laurier en importance. Or, ce drame convenu, qui dénonce la téléréalité, n’avait pas vraiment marqué les esprits. Solidarité nationale de la part du président? Peut-être. Le fait est qu’aucun des prix n’a été remis à l’unanimité, a expliqué Nanni Moretti.

Le prix du jury a été attribué à The Angel’s Share, une comédie sociale très réussie, réalisée par le Britannique Ken Loach. Ce dernier, lauréat de la Palme d’or en 2006 (The Wind that Shakes the Barley), a tenu à exprimer sa «solidarité avec tous ceux qui subissent les programmes d’austérité et des coupures un peu partout».

En octroyant le prix de la mise en scène à Post Tenebras Lux, le choix le plus radical du palmarès, le jury savait très bien qu’il sèmerait la controverse. Cela dit, ce choix est très défendable, dans la mesure où le Mexicain Carlos Reygadas offre ici une œuvre unique, parsemée d’idées originales.

Un message clair

Fait assez étonnant, seulement six des 22 longs métrages en compétition ont eu droit à une inscription au tableau d’honneur. Du coup, quelques favoris ont été laissés sur la touche, notamment De rouille et d’os. Le magnifique film de Jacques Audiard aurait franchement mérité meilleur sort. De même, l’absence de Holy Motors, qui marque le retour de Leos Carax derrière la caméra, soulèvera l’ire de la presse branchée.

À noter aussi le blanchissage des Américains et des productions internationales à la On the Road et autres Cosmopolis. Aucun de ces films n’a été retenu. Si le jury, présidé par Nanni Moretti, avait voulu lancer un message à la direction du Festival de Cannes pour dénoncer la tendance hollywoodienne qu’elle a empruntée dans la compétition, il n’aurait pu être plus clair. 

Par ailleurs, rappelons que la Québécoise Chloé Robichaud était en lice dans la catégorie des courts métrages grâce à son charmant film Chef de meute. La Palme d’or du court métrage fut remise au film turc Sessiz-Be Deng (Silencieux) de L. Rezan Yesilbas.

Le jeune cinéaste américain Benh Zeitlin est de son côté le nouveau détenteur de la Caméra d’or, remise au meilleur premier film toutes sections confondues, grâce à Beasts of the Southern Wild. Déjà récompensé au Festival de Sundance, ce film prendra l’affiche à Montréal en juin.

Le palmarès du 65ème Festival de Cannes


- Palme d'or : Amour de Michael Haneke

- Grand prix du jury : Reality de Matteo Garrone

- Prix d'interprétation féminine : Cosmina Stratan et Cristina Flutur dans Dupa Dealuri (Au-delà des collines) de Cristian Mungiu

- Prix d'interprétation masculine : Mads Mikkelsen dans Jagten (La Chasse) de Thomas Vinterberg

- Prix de la mise en scène : Carlos Reygadas pour Post Tenebras Lux

- Prix du scénario : Cristian Mungiu pour Dupa dealuri (Au-delà des collines)

- Prix du jury : The Angel's share (La part des Anges) de Ken Loach

- Caméra d'or (premier film, président du jury de la Caméra d'or Carlos Die
gues) : Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin, sélection Un certain regard

- Palme d'or du court métrage (président du jury de la Cinéfondation Jean-Pierre Dardenne) : Sessiz-be Deng (Silencieux) de L. Rezan Yesilbas