Son premier long métrage, Les états nordiques, est né du croisement d'une réaction au système, d'un agacement face à un «cinéma de patrimoine confortable», d'un peu d'ego, de frustrations.

En somme, d'un peu de colère.

Denis Côté, cinéaste québécois reconnu pour son travail singulier, a constamment nourri son oeuvre de cet ingrédient. Et il le fait toujours.

«Assurez-vous d'être toujours un peu choqués contre quelque chose, disait-il mercredi soir lors de sa leçon de cinéma à la Cinémathèque, dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois. Ça rassemble à une sorte de conseil. C'est un moteur de création, la colère.»

Animée par Philippe Gajan, directeur de la revue 24 images, la rencontre a permis de faire le tour, long métrage après long métrage, de la carrière du réalisateur d'Elle veut le chaos à Vic + Flo ont vu un ours, en passant par Carcasses, Curling, Bestiaire, etc.

En guerre contre le narratif

Devant une salle jeune, attentive, rieuse, Côté a raconté avec la franchise et l'ouverture d'esprit qui le caractérisent les états d'âme, les interrogations, les étonnements, les émerveillements, les échanges (il aime visiblement discuter avec les gens, quelles que soient leurs opinions), les réflexions qui ont ponctué sa carrière.

D'entrée de jeu, il a raconté comment il est arrivé au cinéma via le magnétoscope. «Ça me permettait de consommer du cinéma tout seul, sans aller en salle», dit le cinéaste, qui se classe dans la catégorie des cinéphiles Do It Yourself et qui a travaillé avec le MiniDV et autres outils paléontologiques mais toujours «formateurs».

Le langage cinématographique restera toujours, dit-il, son obsession. «J'ai souvent été en guerre contre le narratif. Je ne suis pas un conteur, je n'ai rien à défendre. Je fais un cinéma de poésie, de langage, de matière. Je suis en fait un très mauvais citoyen. Je ne tiens pas de pancarte.»

Confronter le réel

Depuis quelques années, Côté tourne en alternance des films financés et plus scénarisés et des oeuvres extrêmement déstructurées. C'est pour lui une façon de se venger.

«Lorsque j'ai fait Carcasses, c'était une vengeance sur l'industrie et le côté industriel de mon film précédent, Elle veut le chaos, dit-il. C'était terrifiant de faire ce film, et en même temps, c'est tellement excitant. Tu as l'impression d'être à la guerre avec ton glaive.»

Au fil des années, il s'est lassé des films relevant soi-disant du réalisme social.

«Pourquoi filmer la réalité dans laquelle on vit pour la resservir à un public en lui disant qu'il vit ça tous les jours? C'était intéressant dans les années 60-70. On appelait ça le cinéma direct. Les gens avaient besoin de se voir sur un écran pour s'identifier. Il me semble qu'on s'est assez vus!»

Lui a envie de jouer avec le réel, de le défier. Il veut se réapproprier la réalité et la transposer. «C'est ce qui manque le plus dans le cinéma québécois. Nous sommes toujours dans l'imitation d'un réel qu'on connaît sous prétexte d'authenticité ou en train de rendre compte de ce réel. Le réel est tellement noble qu'on ne peut jamais le remettre en question.»

On en revient à la colère du début. Denis Côté est-il toujours habité par la colère? Oui, en quelque sorte.

Il observe parfois chez lui une envie de trouver le public et un agacement devant cette étiquette de cinéaste de festival qui lui colle à la peau, constate ce qu'il appelle un «déficit de reconnaissance». Mais il ne baisse pas les bras pour autant et refuse de faire un cinéma lisse, estimant qu'une des beautés des films se trouve dans leurs imperfections.

«Le pire danger, au cinéma, est de s'embourgeoiser, dit-il. Il faut toujours que tu fabriques ta propre urgence. Moi, à 41 ans, je ne suis pas animé par la même colère. Mais je m'assure d'être toujours choqué contre quelque chose.»