Le soir de l'ouverture des 31es Rendez-vous du cinéma québécois, un événement auquel a assisté la première ministre du Québec, Pauline Marois, le ministre de la Culture et des Communications, Maka Kotto, a confié un mandat à la Société de développement des entreprises culturelles. Il a demandé à la Sodec de former un groupe de travail sur les enjeux du cinéma. Un rapport complet d'analyse devra lui être remis au mois d'octobre.

En attendant, le feu est déjà pris dans la cabane. C'est du moins l'avis du Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec (RDIFQ), qui prévoit des conséquences très fâcheuses pour la vitalité du cinéma d'auteur québécois si un secours immédiat ne lui est pas apporté.

C'est d'ailleurs pourquoi, dans un plan d'urgence présenté le 10 janvier dernier à François Macerola, président de la Sodec, le Regroupement réclame une aide de 3 millions de dollars non remboursable et non récurrente à la capitalisation. Dans l'état actuel des choses, les distributeurs indépendants québécois (A-Z Films, Axia Films, Domino Film, Filmoption International, FunFilm distribution, K-Films Amérique, Les films du 3 mars et Locomotion Distribution) estiment pouvoir difficilement répondre aux nouvelles exigences du marché, notamment en regard des coûts d'exploitation liés à la conversion des salles au cinéma numérique.

À ces préoccupations d'ordre plus technique - et très complexes - viennent aussi s'ajouter celles, encore plus inquiétantes à leurs yeux, provoquées par la récente acquisition du géant Alliance Films par un autre géant, Entertainment One, une société qui distribue des films au Québec sous la bannière Films Séville. La fusion de ces deux grandes entreprises viendrait déséquilibrer le marché québécois à tel point que cette nouvelle entité se trouverait en situation de quasi-monopole, ne laissant désormais plus que de maigres miettes aux autres.

«Il n'y a plus de marché libre», affirme sans ambages Louis Dussault, porte-parole du RDIFQ. C'est pourquoi nous demandons à la Sodec de faire preuve d'un leadership historique dans ce dossier.»

Les distributeurs indépendants, il est vrai, sont placés dans une situation plutôt suffocante. Ils évoluent dans un domaine où il existe un marché québécois très spécifique, dont les règles sont toutefois établies à une échelle nationale, sinon nord-américaine. Rappelons que l'acquisition d'Alliance Films par Entertainment One, transigée à 228 millions de dollars, a récemment été autorisée par les agences de réglementation canadiennes, incluant le Bureau de la concurrence du Canada.

«Même si nous avons été consultés, notre avis n'a pas du tout été pris en compte, souligne Louis Dussault. Cette décision d'affaires fut prise en fonction du territoire canadien, sans tenir compte de la spécificité du marché québécois. Or, le marché est complètement différent ailleurs au Canada.»

Affirmant être déjà défavorisés face à deux concurrents qui ont pu s'assurer un bon fonds de roulement grâce à des ententes conclues avec des distributeurs américains (The Weinstein Company, Lionsgate, Summit Entertainment, Focus Features, etc.), voilà que les distributeurs indépendants font désormais face à un géant qui, craignent-ils, sera désormais en mesure de faire la pluie et le beau temps. Vérification faite, Alliance et Séville ont distribué à eux seuls, l'an dernier, plus du quart des quelque 400 longs métrages ayant fait l'objet d'une présentation en primeur dans les salles du Québec (69 pour Séville, 61 pour Alliance).

«Entertainment One jouira d'un pouvoir de négociation disproportionné, rappelle le Regroupement. Et cela n'est pas de très bon augure pour le cinéma québécois, particulièrement pour le cinéma d'auteur. Les distributeurs indépendants soutiennent des longs métrages dont la rentabilité financière est plus aléatoire. Sans l'engagement d'un distributeur, il est pratiquement impossible de financer un film.»

Une situation urgente?

Dans une lettre publiée hier par Le Devoir, le nouveau président des Films Séville, Patrick Roy, a réfuté quelques arguments avancés par le RDIFQ et réitéré son engagement à investir dans le cinéma québécois en évoquant même une volonté d'en «faire encore plus». «Nous sommes tous confrontés à la même réalité: c'est la performance de nos films qui fait foi de tout et qui permet d'assurer une longue présence de ceux-ci sur les différentes plateformes d'exploitation», écrit-il. Il estime aussi qu'un nouvel espace devra être comblé dans la nouvelle réalité du marché, et voit plutôt là une belle occasion à saisir pour les autres distributeurs.

Joint hier, le président de la Sodec, François Macerola, a dit comprendre de son côté l'inquiétude des distributeurs indépendants, mais relativise quand même l'urgence d'une intervention. «Si j'étais à leur place, il est évident que je trouverais la situation alarmante moi aussi, dit-il. Une rencontre a eu lieu. Une manière de consensus a été établie à propos de la possibilité d'une aide. Mais il faut trouver les fonds. Cela dit, nous sommes aussi en train de réunir les différents intervenants qui formeront le comité sur les enjeux du cinéma. Tout le dossier de la distribution fait évidemment partie du mandat que nous a confié le ministre. D'ici le dépôt du rapport, au mois d'octobre, on essaie quand même de trouver une solution pour les distributeurs indépendants. Ce qui me plaît dans l'exercice que nous nous apprêtons à faire, c'est qu'on commencera à parler de cinéma d'une autre manière, avec des enjeux différents de ceux avec lesquels on compose depuis des années.»

Entre-temps, tout le monde retient son souffle.