Dans Mektoub, my love: canto uno, dévoilé jeudi à Venise, Abdellatif Kechiche ne se lasse pas de filmer les fesses rebondies de jeunes femmes libres et sensuelles, dénuées de préjugés racistes, dans un «hymne à la vie, à l'amour, aux corps, à l'avenir».

«"Mektoub", c'est le destin, le karma. Le film dans son ensemble pose la question du destin. "My love" parce qu'on a souvent conscience du destin dans les rapports amoureux», a décrit jeudi le cinéaste franco-tunisien, dissimulé derrière des lunettes noires pour affronter un parterre de critiques partagés.

Kechiche - Palme d'or à Cannes pour La vie d'Adèle (2013), la passion entre deux jeunes femmes crûment filmée - a présenté à la Mostra le premier volet, de trois heures, d'un triptyque frémissant des amours de jeunesse et de l'éclosion à la vie adulte.

C'est l'été dans la ville portuaire de Sète et la caméra très baladeuse décortique de ravissantes jeunes étudiantes en vacances, toutes en mini-shorts, robes courtes moulantes ou maillots de bain. Et toutes très réceptives à la «drague» appuyée des jeunes hommes du coin d'origine tunisienne («si la beauté était un crime tu aurais fait perpète»).

Un regard très masculin qui a choqué certaines spectatrices pointant l'absence de gros plans sur l'arrière-train des interprètes masculins. «Il n'y a rien de machiste dans mon approche, je décris plutôt des femmes fortes, puissantes et libres», s'est défendu Kechiche. «On entre dans un film ou pas».

«Ton impressionniste»

Amin, joué par l'acteur débutant Shaïn Boumédine, un jeune homme doux qui rêve de devenir réalisateur, revient dans sa ville natale. Il y retrouve ses amis d'enfance, observe le monde sexué qui l'entoure et devient le confident amoureux des jeunes femmes en peine. L'aspirant cinéaste attend sans aucun doute que le «destin» lui fasse rencontrer l'amour, mais en attendant il prend des photos pour nourrir son inspiration créative.

«J'ai voulu donner à ce film un ton impressionniste, qu'on en sorte avec légèreté», explique Kechiche.

On retrouve dans un rôle secondaire l'actrice Hafsia Herzi, qui avait percé à 18 ans avec La graine et le mulet (2007) du même auteur. «La plupart des acteurs apparaissent pour la première fois à l'écran», s'émerveille le réalisateur, dont la marque de fabrique reste ses dialogues naturalistes («il a grave changé»).

L'action, qui se passe au début des années 90, laisse transparaître un univers complètement dénué des tensions culturelles et religieuses qui alimentent aujourd'hui l'actualité française.

«Cette époque que je décris est réelle. Je crois qu'avant le début de ce siècle, les gens vivaient de façon plus harmonieuse, jusqu'à ce que les temps changent», a commenté le cinéaste franco-tunisien de 56 ans, qui a grandi dans un quartier ouvrier de Nice.

Dans une note d'intention de film, il est néanmoins plus explicite: «il y a une fissure dans la société, il est nécessaire de comprendre son origine. La France n'est pas un pays de race blanche, c'est une nation multiculturelle et multireligieuse».