Depuis une semaine, l'équipe de Prank attend fébrilement son tour. La comédie irrévérencieuse québécoise, réalisée par Vincent Biron, saura-t-elle se faire remarquer aujourd'hui à la Semaine de la critique?

Leur délégation est impressionnante. Pour soutenir - et célébrer - la sélection de leur film à la Mostra de Venise, les artisans de Prank sont débarqués sur la lagune comme «une gang de chums» en plein Spring Break. Ils se sont même presque mis dans le pétrin un soir de tapis rouge en tentant de trouver un endroit pour accrocher une immense banderole affichant un dessin destiné d'abord aux yeux d'un public, disons, averti. Ignorant que ce dessin était, en fait, en lien direct avec le film, les carabinieri ont eu tôt fait de les entourer, de les questionner, de les ficher, puis de confisquer leur banderole le temps d'une nuit.

Quand Vincent Biron, le réalisateur, est allé la récupérer au poste de police le lendemain, la fameuse banderole, toute fripée, affichait tout à coup un peu plus de «vécu». On peut supposer que la nuit n'avait pas été de tout repos pour elle. Les policiers ont même dû s'en donner à coeur joie. Et se dire que ces drôles de Québécois n'ont vraiment pas peur d'afficher leur gros sens de l'humour.

Écrit à huit mains par Alexandre Auger, Éric K. Boulianne, Marc-Antoine Rioux et Vincent Biron, Prank décrit le parcours d'un ado un peu geek, à qui des amis demandent de filmer les mauvais coups qu'ils organisent et qu'ils exécutent eux-mêmes. Entre les blagues d'un goût douteux (souvent drôles) et les rapports toujours un peu faux jetons que ces jeunes entretiennent entre eux, le film raconte aussi quelque chose de la condition adolescente plus «difficile». Il n'y a toutefois point de film à thèse ici. Ni de drame existentiel à la Kids.

Une scène pendant laquelle il est question du cinéma de Béla Tarr est même à hurler de rire. Jamais n'aurions-nous pu même imaginer associer un jour le nom du cinéaste hongrois à ce genre d'humour, plutôt épais.

«C'est pourtant une scène qui vient directement de ce que j'ai vécu! explique Vincent Biron. Mais à l'époque où j'étais ado, c'était le film Crash de David Cronenberg plutôt que Le cheval de Turin. J'avais envie de louer Crash parce que j'avais remarqué sur la jaquette de la cassette VHS qu'il avait gagné un prix à Cannes. J'ai eu le malheur de regarder ça avec mes chums

Prank, un film fauché, complètement autoproduit et autofinancé, veut ainsi s'inscrire dans un genre encore peu exploré au Québec: la comédie irrévérencieuse. Un peu à la manière de ce que font Kevin Smith, Judd Apatow et le tandem Rogen-Goldberg aux États-Unis.

«On nous a dit que notre film était un genre de Superbad à la sauce québécoise, dit fièrement le réalisateur. Nous n'avons pas, chez nous, cette tradition du cinéma indépendant américain. C'est-à-dire des films où c'est à la fois vulgaire et intello.»

Un appel de Berlin

Ainsi, les artisans ont été très étonnés de constater que leur modeste production s'était retrouvée sur le radar des festivals dès la première tentative. Ils ont d'abord visé le festival de Sundance ainsi que le festival South by Southwest, plus naturellement enclins à accueillir ce genre de productions. Mais c'est finalement Berlin qui a répondu à l'appel en premier.

«Nous leur avions soumis une copie de travail et ils nous offraient la section Génération, destinée au jeune public, rappelle Vincent Biron. C'est à ce moment-là que nous avons été mis sur le radar des institutions chez nous. De constater que Berlin voulait avoir un film qu'elles ne connaissaient pas, cela les a un peu pris de court!»

Prank n'étant alors pas achevé, les gars ont préféré attendre. L'appel de la Semaine de la critique, une section parallèle de la Mostra de Venise, est tombé de façon complètement inattendue.

«Mais visiblement, ils tenaient à nous. Ils craignaient même que nous n'acceptions pas de venir! Peut-être est-ce simplement pour nous flatter dans le sens du poil, mais on sent vraiment un petit côté geek chez eux. Le directeur de la Semaine, Giona Nazzaro, nous a même accueillis en portant un chandail de Robocop

Au bon endroit, au bon moment

Aussi coéquipiers de balle molle, ces braves ambassadeurs montréalais, dont au moins deux se pavanent dans la Cité des doges avec une casquette des Expos bien vissée sur la tête, passeront aujourd'hui leur premier vrai test. Les sous-titres italiens pourront-ils bien traduire leur humour très particulier? C'est une préoccupation. «Les sous-titres ont été relus par une amie italienne. Qui a beaucoup ri», précise le réalisateur. Mais l'équipe sera quand même plus soulagée quand elle entendra le premier rire des spectateurs de la Mostra, idéalement au bon endroit, au bon moment.

Prochaine étape? Le festival de Toronto. Puis le Festival du nouveau cinéma de Montréal. Et, enfin, la sortie en salle dans la foulée.

«Nous souhaitons plaire à un public moins représenté dans les comédies au Québec, indique Vincent Biron. Si on pouvait attirer un peu plus de 3000 spectateurs - la norme pour le cinéma d'auteur -, ce sera mission accomplie. Et même si on sait que ça fait un peu "mononcle", on aimerait bien que les jeunes, qui ne se reconnaissent pas souvent dans notre cinéma, aillent le voir!»

Et quel pourrait être le prochain objectif?

«Représenter le Canada aux Oscars!», dit-il. Rien de moins.

Prank prendra l'affiche le 28 octobre.

photo tirée de la page facebook de Vincent Biron

La banderole sur laquelle est dessiné un énorme phallus, gracieuseté de l'équipe du film Prank, a passé la nuit au poste de police.