Coup sur coup, les festivaliers vénitiens ont eu droit hier à des visions du monde pour le moins étranges, issues de l'imagination de deux cinéastes britanniques. Il y a d'abord eu le nouveau film de Terry Gilliam, The Zero Theorem, un film d'autant plus attendu qu'il s'inscrit dans la mouvance de Brazil, le chef-d'oeuvre de ce Monty Python d'origine américaine, aujourd'hui citoyen britannique. Une rumeur voulant que cette nouvelle offrande constitue une suite en bonne et due forme circulait d'ailleurs. L'auteur-cinéaste s'est toutefois empressé de déclarer qu'il n'en était rien.

>>> Les photos de la 70e Mostra de Venise

Son compatriote Jonathan Glazer, qui n'en est qu'à son troisième long métrage en 14 ans (Sexy Beast, Birth), proposait de son côté Under the Skin, un film pratiquement sans paroles, dans lequel Scarlett Johansson prête ses traits à un extraterrestre...

La ténacité de Terry Gilliam force l'admiration. Son imaginaire délirant aussi. Malheureusement, The Zero Theorem n'est pas le film avec lequel le réalisateur de Twelve Monkeys parviendra à se remettre en selle. La direction artistique de cette comédie fantastique, tournée avec de modestes moyens en Roumanie, laisse une forte impression, mais toute cette artillerie visuelle est ici mise au service d'un propos mille fois ressassé. Et bien vain. Dans ce monde futuriste, Christoph Waltz incarne un mathématicien de génie enfermé dans son propre monde virtuel. Il tente de remplir le mandat que lui a confié la société qui l'emploie: trouver un sens à la vie dans un monde de plus en plus déshumanisé, dicté par la doctrine publicitaire.

«Le futur est désormais réalité et nous sommes les prisonniers de ce futur, a déclaré Gill iam. Aujourd'hui, notre rapport avec la réalité est virtuel. »

L'humour particulier que privi légie Gilliam aurait pu produire des étincelles. Malheureusement, tout reste plat. Même s'il a réuni une distribution impressionnante, dans laquelle on note les participations de Tilda Swinton, Matt Damon et Mélanie Thierry, le réalisateur ne parvient pas à donner un élan véritable à son histoire. On est davantage ici en face d'une étrange coquille vide.

Scarlett Johansson, extraterrestre

Under the Skin n'a guère suscité d'excès d'enthousiasme non plus. Cela dit, la démarche de Glazer est plus cohérente. Du moins sur le plan esthétique. Dans une Écosse éclairée parfois comme un film de Grandrieux débarque un extraterrestre qui empruntera l'allure d'une jeune femme déjà morte.

On ne sait trop quelle est sa «mission» ni comment il est arrivé là. Le fait est que cet être venu d'ailleurs tente de comprendre le monde des humains, leurs interactions, leurs émotions. Ainsi, la «Starwoman» fera son apprentissage à travers le jeu de la séduction. Que les hommes qu'elle rencontre soient parfaitement «ordinaires» ou même complètement défigurés importe peu. Séduits par cette créature de rêve, ils sont tous inévitablement entraînés dans une mer de laque noire dans laquelle ils ne peuvent faire autrement que de s'enfoncer dès qu'ils s'approchent de la belle dévêtue.

Sur le plan cinématographique, Under the Skin relève pratiquement d'une oeuvre d'art. Les paysages écossais se prêtent en outre magnifiquement à l'âpreté de l'approche qu'emprunte le cinéaste. Encore une fois, ce souci esthétique est mis au service d'un récit plutôt mince. Dommage.

Comme plusieurs festivaliers vénitiens, le reporter de La Presse quitte aujourd'hui la Cité des Doges pour se rendre dans la Ville reine. Arrivederci , Venezia. See you tomorrow, Toronto...

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Les échos de la Mostra

> L'accueil critique de Tom à la ferme

La presse dite «de référence» a réservé un accueil généralement favorable au nouveau film de Xavier Dolan, Tom à la ferme. Variety, Le Monde, Libération, Indiewire, The Daily Telegraph et bien d'autres publications internationales ont loué les qualités de ce thriller psychologique. Le seul gros couac est venu du Hollywood Reporter. Le critique David Rooney a essentiellement reproché à Dolan son approche «narcissique». À laquelle le cinéaste a répondu directement sur Twitter, et de façon plutôt colorée: «You can kiss my narcissistic ass!», a-t-il écrit.

> Daniel Radcliffe, vedette populaire

Accompagnant la présentation du film de John Krokidas Kill Your Darlings, sélectionné dans la section parallèle Venice Days, Daniel Radcliffe, comme si besoin était, a pu constater l'ampleur de sa notoriété. Lorsqu'il se rendait à l'endroit indiqué pour la conférence de presse, l'enthousiasme de ses admirateurs s'est fait un peu trop insistant. «J'ai eu affaire à ça, de diverses manières, depuis que j'ai 11 ans, a fait remarquer l'interprète de Harry Potter. Heureusement, ce n'est pas toujours comme ça. Je ne prends pas cela au sérieux. En fait, je trouve cela plutôt drôle!»

> La thérapie de Scarlett

Arrivée dans la Cité des Doges pour défendre Under the Skin, film très particulier de Jonathan Glazer, Scarlett Johansson a dû emprunter une approche différente pour se glisser dans la peau d'un... extraterrestre. Ce «film de science-fiction qui n'en est pas un» explore les émotions humaines à travers un prisme inédit. «Il est question d'abandon de tout jugement, de toute notion ou idée préconçue, puisque mon personnage n'en a pas, a déclaré l'actrice. C'était difficile au début, car je n'avais aucune référence pour l'interpréter. J'ai dû abandonner ma peur totalement et faire reset. Ce fut une bonne thérapie!»

Photo Gabriel Bouys, AFP