À quelques jours du 42e Festival des films du monde, Marc-André Lussier et Mario Girard ont tenté de percer le mystère entourant son fondateur, Serge Losique. Portrait d'un homme qui refuse d'abdiquer et qui maintient en vie un festival dont on a prédit la mort mille fois.

NAPOLÉON SANS WATERLOO

Pendant des années, à l'époque où Serge Losique enseignait à l'Université Concordia, un portrait de Napoléon était accroché, bien en évidence, dans son bureau. Le premier empereur des Français - qu'on disait aussi despote - est l'une des figures historiques que le fondateur du Festival des films du monde (FFM) admire le plus.

«Non seulement ça, il est dans ma chambre à coucher à la campagne! précise-t-il au cours d'une interview accordée à La Presse la semaine dernière. À mon avis, c'est le plus grand homme d'État qui ait jamais existé. C'était un homme décidé dont les actions étaient dictées par personne d'autre que lui-même. Ce qu'il a fait est extraordinaire. On m'a surnommé Napoléon pendant des années et je dis que pour moi, c'est toujours Austerlitz et que je choisirai moi-même mon Waterloo. Lui l'a perdu, pas moi!»

Serge Losique aime les hommes qui ont le sens de l'État. L'ancien premier ministre britannique Winston Churchill - «un grand homme d'État, brillant, qui était aussi un artiste» - est l'une de ses idoles. Durant les premières années du FFM, à la fin des années 70 et au début des années 80, son fondateur pouvait appeler directement les premiers ministres Pierre Elliott Trudeau et René Lévesque, deux adversaires politiques dont il admirait, tant chez l'un que chez l'autre, les qualités de leader.

L'ancien premier ministre du Québec Robert Bourassa, dont il évoque les conversations tard le soir au téléphone, après la fin des travaux à l'Assemblée nationale, était aussi son ami.

«Je connais la politique et les politiciens, mais je n'ai jamais affiché mes couleurs. Je suis un marchand de tapis sans marchandise. Je suis un homme libre et je marche sans béquilles.»

Jean Fortier a bien connu Serge Losique. L'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, sous Pierre Bourque, de 1998 à 2001, apprécie chez lui sa grande intelligence. «C'est quelqu'un qui a un très bon jugement politique. Il adore discuter de politique. Il nomme rarement les personnalités ou les politiciens avec lesquels il discute. Mais il arrive toujours avec un jugement très éclairé.»

Les contacts qu'il maintient encore aujourd'hui partout dans le monde lui permettent de garder la tête hors de l'eau. En Asie, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud, notamment, la réputation de Serge Losique est encore grande. La Chine et le Japon envoient encore des délégations à Montréal. Le patron du FFM, il est vrai, a été l'un des premiers à sélectionner des films chinois dans sa programmation au début des années 80. Dans l'empire du Milieu, il est traité comme un roi. Il y a 10 ans, il a même été invité par les hautes autorités du ministère du Cinéma à assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin, dont la mise en scène - grandiose - était l'oeuvre du cinéaste Zhang Yimou, son «meilleur ami chinois», dit-il.

«Il y a deux ans, on m'a honoré là-bas d'un prix spécial, attribué par le Bureau du cinéma, pour ma contribution au rayonnement international du cinéma chinois. Tous les gens du milieu audiovisuel me connaissent là-bas, mais aussi les autorités. Je peux te montrer!»

Pas de bobards!

Très en verve au cours de l'entrevue, qu'il aurait volontiers poursuivie bien au-delà de sa durée de plus de deux heures, il interrompt souvent la conversation pour prouver ses dires en montrant un document ou en exhibant un trophée. Un peu comme s'il avait le sentiment d'être toujours accusé d'en mettre un peu trop.

«Je suis un homme très factuel. Je ne raconte pas de bobards», tranche-t-il.

S'il s'obstine à maintenir son festival en vie, malgré l'absence de ressources et d'organisation que requiert un évènement de cette nature, c'est par respect pour l'institution qu'est devenu le FFM au fil des ans. Comme s'il était le président d'un pays nommé Cinéma, envers lequel il se sent une responsabilité d'État. Quand on lui demande s'il n'est pas fatigué de se battre, il répond qu'il ne s'agit pas d'un combat.

«Je ne cherche pas la bagarre et je ne l'ai jamais provoquée. Mais nos politiciens ne dirigent rien. Ce sont plutôt les fonctionnaires qui mènent. D'où tous les scandales. Je voudrais bien me consacrer à autre chose, mais je ne peux pas. Je suis trop vieux pour me battre contre toutes les injustices qu'on m'a faites et qu'on a faites au FFM, mais je suis trop jeune pour quitter la culture cinématographique!»

Jusqu'au bout

Depuis sa création, en 1977, le Festival des films du monde a survécu à toutes les crises: de la contestation des cinéastes québécois, qui estimaient leur présence trop mince, jusqu'à la récente menace d'injonction de Revenu Québec en passant par des rapports accablants, le retrait des subventions, la création d'un festival concurrent appuyé par les institutions, et bien d'autres critiques.

«Pourquoi Serge Losique a-t-il continué alors qu'il n'avait plus à prouver la valeur de sa contribution et qu'il aurait pu simplement lâcher prise et envoyer tout promener?», demande Danièle Cauchard. Même celle qui fut sa plus fidèle collaboratrice pendant 38 ans jusqu'à son départ, il y a trois ans, n'a pas d'explications. «Je n'ai pas de réponse», dit-elle tout simplement.

«Cet homme est un chat. Il a véritablement neuf vies. Il dilapide sa fortune. Il ne se protège pas lui-même dans le but de protéger son festival», pense Jean Fortier.

Le producteur des Contes pour tous Rock Demers, qui a lui-même dirigé un festival de cinéma à Montréal au cours des années 60, affirme qu'à la place de Serge Losique, il ne s'entêterait pas. «Je n'aurais pas cette énergie ni ce courage. La vraie tragédie est survenue lorsqu'on a tenté de créer un festival concurrent en 2005 en retirant au FFM ses subventions. On casse les deux jambes à quelqu'un et on lui reproche ensuite de marcher en boitant! À moins d'un miracle, que je n'entrevois pas du tout, le FFM va s'éteindre avec Serge Losique.»

UNE HISTOIRE MYSTÉRIEUSE

Personne ne connaît véritablement les origines de Serge Losique. Même ses plus vieux amis, interrogés en vue de ce reportage, ne savent pas exactement d'où il vient, car le concerné refuse systématiquement de répondre à leurs questions. L'accent particulier qu'il traîne encore aujourd'hui laisse toutefois entendre qu'il a des origines balkaniques.

Claude Fournier et Marie-José Raymond, qui ont beaucoup fréquenté l'homme à une certaine époque, ont tenté plus d'une fois d'aborder le sujet, sans succès. Nous avons également soulevé la question avec Daniel Bouchard, l'ancien directeur du marketing du FFM. «Je ne sais pas s'il est serbe ou croate, mais je sais qu'il était parfois exacerbé!», nous a-t-il dit en riant.

Serge Losique est père de trois enfants. Outre Anne-Marie, figure médiatique bien connue au Québec, il a deux fils: François, un proche et fidèle collaborateur depuis de nombreuses années, et Jacques, l'aîné, qui vit depuis 25 ans aux États-Unis et qui évolue dans le domaine des biotechnologies. Ce dernier se souvient d'un voyage qu'il a fait avec sa mère en 1974 à Split et Dubrovnik, deux villes situées en Croatie.

«On y a vu des membres de la famille de mon père. On parlait par gestes. Je sais que ma soeur aimerait y retourner. J'irai peut-être avec elle», indique Jacques Beaudry-Losique.

Le mystère qui plane autour des origines de Serge Losique ne surprend pas Jacques Beaudry-Losique. «Il est secret pas juste avec vous, les journalistes. Il l'est aussi avec ses enfants.»

Celle qui a partagé la vie de Serge Losique durant plusieurs décennies et qui est la mère de ses trois enfants est Mimi Beaudry. Le couple s'est rencontré à la Sorbonne, a précisé son fils Jacques. «C'était une femme charmante et très plaisante», dit Christiane Colson, comptable au FFM pendant plus d'une trentaine d'années. Mimi Beaudry a été avocate et a évolué dans le domaine de l'immigration. En 2009, un cancer l'a emportée. «Ç'a été très difficile pour Serge», ajoute Mme Colson.

À l'émission La vraie nature, diffusée en février dernier, Anne-Marie Losique, qui a refusé nos demandes d'entrevue répétées, a rendu hommage à sa mère. En voyant une photo d'elle et sa mère, l'animatrice et productrice a fondu en larmes. «Ma mère m'a transmis une grande force d'indépendance. J'ai eu énormément d'amour de ma mère», a-t-elle confié.

Serge Losique est toujours demeuré évasif au sujet de son âge, mais une source fiable nous a confirmé qu'il était né le 1er novembre 1931.

Un gentleman farmer

Si un certain froid s'est installé entre la fille et le père depuis quelques années, il semble que les autres membres de la famille aient conservé un certain lien.

C'est d'ailleurs François qui nous a mis en contact avec son frère Jacques. «Je vais à Montréal deux ou trois fois par année, nous a dit Jacques Beaudry-Losique. Je vois mon père à Noël. Mais il est vrai que depuis la mort de notre mère, les liens se sont affaiblis. Ma mère était le ciment.»

Les Losique-Beaudry ont vécu de nombreuses années dans une ferme acquise dans les années 60 dans la région de Memphrémagog, en Estrie. Dans ce lieu où Losique a élevé des moutons («J'en ai eu mille!», raconte-t-il), la famille a connu les joies de la campagne. Les agneaux étaient vendus, entre autres, par le mari de Jehane Benoît, la première cuisinière gastronome du Québec.

Les Losique avaient aussi des chevaux. La famille a accueilli de nombreux visiteurs, dont des vedettes invitées au FFM. Serge Losique, gentleman farmer? «Oui, absolument», répond le concerné.

«Dès que je pose le pied à la campagne, je deviens un autre homme, dit-il. J'oublie tout. La nature m'a toujours sauvé et ce contact m'est essentiel. Et puis, à la campagne, tu communies avec la nature, mais aussi avec les habitants autour. Là-bas, j'aime discuter avec les gens, qui me connaissent comme villageois, et à partir du moment où tu gagnes leur confiance, c'est merveilleux. Au début, j'avais choisi l'élevage de moutons, car ces bêtes me faisaient penser au cinéma: ils sont complètement irrationnels. Ils courent partout, dans tous les sens, et tu ne peux jamais rien prévoir.»

Photo Robert Skinner, archives La Presse

Isabelle Adjani en compagnie de Serge Losique au FFM en août 2004.

NAISSANCE D'UN HOMME DE CINÉMA

La vie artistique et intellectuelle de Serge Losique commence véritablement en France, au moment où il s'y rend pour faire des études en littérature, d'abord à Toulouse, puis à la Sorbonne, à Paris.

Le roman d'action l'intéresse. «Parce que je suis un homme d'action», précise-t-il.

Il étudie l'oeuvre de Malraux, de Saint-Exupéry, connaît alors tout Shakespeare par coeur.

Or, la littérature finit par le décevoir, dans la mesure où il n'y trouve pas ce qu'il cherche sur la nature humaine ni sa nourriture sur le plan philosophique. En s'interrogeant sur les raisons pour lesquelles les westerns étaient si populaires au cinéma à cette époque, il découvre que la vraie nature de l'homme se révèle davantage dans les films.

«Quand il regarde un western, le spectateur peut s'offrir une liberté qu'il n'a pas dans la vie. Aussi, j'ai appris sur la justice humaine bien davantage en regardant les films de Charlie Chaplin qu'en lisant des livres écrits par les philosophes.»

Il commence à fréquenter la Cinémathèque française en simple spectateur, et se lie d'amitié avec les cinéphiles de l'époque, parmi lesquels son ami Pierre-Henri Deleau, qui sélectionnera les films de la Quinzaine des réalisateurs pendant 30 ans, et tous les réalisateurs qui feront plus tard la Nouvelle Vague, notamment Claude Chabrol, François Truffaut, et Jean-Luc Godard, bien sûr. Après les projections, tous ces jeunes loups - ils étaient dans la vingtaine - se réunissaient dans un bistro, à refaire le monde jusqu'aux petites heures en discutant des films qu'ils avaient vus ensemble.

«Ils étaient tous de formidables théoriciens du cinéma, rappelle Losique. C'est là que j'ai compris que Godard était supérieur à tout le monde.»

Henri Langlois, un modèle

Surtout, Serge Losique rencontre alors celui qui deviendra un modèle, et qui aura un impact direct sur son destin: Henri Langlois. De 20 ans l'aîné de tous ceux qu'il influence, celui qui a fondé la Cinémathèque française en 1936 est reconnu pour avoir mené sa barque à sa façon, parfois au mépris des règles, en envoyant aussi souvent paître les fonctionnaires, ce qui l'a parfois mis dans le pétrin. Bref, il avait tout pour plaire à un homme comme Serge Losique.

«Henri était un passionné irrationnel, et c'est pour ça que je l'ai aimé. Car la vraie nature de l'homme se trouve dans l'irrationalité. Il nous apportait tous les films qu'on voulait voir et qu'on ne pouvait trouver nulle part ailleurs. Dès que j'ai pu, je l'ai fait venir à Montréal afin qu'il puisse donner des cours et des conférences. Je lui ai donné le titre de premier citoyen du cinéma!», dit-il fièrement.

Dès son arrivée au Québec, au début des années 60, dans des circonstances qui, prévient-il, relèvent de l'ordre privé, Losique cogne à la porte de l'Université de Montréal afin de proposer un cours de cinéma. Même si la Révolution tranquille point à l'horizon, le milieu universitaire francophone reste sous l'emprise de la religion catholique. «Lors d'un dîner à Cannes, Jean-Louis Barrault [le grand directeur de théâtre est venu au Québec quelques fois à l'époque de la Grande Noirceur] m'a dit que dans les années 50, le Québec était le Tibet du catholicisme!», raconte-t-il. En ces temps très prudes, le cinéma est encore sous le joug de la censure ecclésiastique. Donc refus.

En se tournant du côté de l'Université Sir-George-Williams (dont la fusion avec le collège Loyola en 1974 a donné naissance à l'Université Concordia), il décroche en 1962 un poste de professeur de littérature, qu'il accepte à la condition de pouvoir aussi enseigner le cinéma. Le premier cours de cinéma crédité en Amérique du Nord a alors été mis en place.

Création du FFM

Serge Losique est de la création de la Cinémathèque québécoise, mais des conflits surgissent rapidement avec les autres fondateurs. En 1967, il fait naître le Conservatoire d'art cinématographique de Montréal.

Dix ans plus tard, il fonde le Festival des films du monde. «Je ne voulais même pas m'en occuper, dit-il. On m'y a poussé. Comme il n'y avait pas de festival d'envergure internationale en Amérique du Nord, les Européens m'ont poussé à en faire un, et Jack Valenti aussi [le président de la Motion Picture Association of America]. Moi, j'étais très heureux de faire ce que je faisais. Mais ils disaient: seul Losique peut réussir ça. Alors, en bon démocrate, même si on dit souvent que je suis un dictateur, j'ai assisté à plein de réunions et j'ai finalement dit: "Je vais le faire, but there's only one way: my way! »

Serge Losique se tourne alors vers Rock Demers, qui avait dirigé le Festival international du film de Montréal dans les années 60. «Il a loué les cinémas dont je m'occupais dans le Vieux-Montréal pour son marché du film, se souvient le producteur des Contes pour tous. Nous n'avons jamais été des amis intimes, Serge et moi, mais j'ai vite compris qu'il était un homme loyal. Nous n'avions pas signé de contrat pour les salles, une poignée de main a suffi et il a respecté l'entente à la lettre. S'il a pu mener son festival vers des sommets pendant 25 ans, c'est grâce à cette loyauté réciproque des délégations internationales.»

«Je dois vaincre. Point.»

Avant même sa tenue, le FFM est cependant contesté par de plus petits festivals qu'organisaient alors d'autres intervenants du milieu, notamment les critiques de cinéma. «En bon général - j'ai appris ça de Napoléon -, je me suis mis à chercher une solution. Je dois vaincre. Point. Alors j'ai fait appel à Howard Hawks, à Gloria Swanson, à Ingrid Bergman, aux frères Taviani, à mon ami Jean-Luc [Godard], bien sûr. À la première édition, ils étaient tous là», rappelle Serge Losique. La concurrence est morte sur le champ de bataille.

Quand on lui demande qui est son cinéaste favori, il répond, sans hésiter, Akira Kurosawa, le grand maître japonais. «Il a réussi dans tous les genres, et influencé un tas de grands cinéastes, à commencer par Steven Spielberg et Francis Coppola. Sergio Leone aussi. Quand il a fait ses westerns spaghettis, il disait qu'il déshabillait le samouraï pour le rhabiller en cowboy!»

Photo Robert Skinner, archives La Presse

L'actrice Sophia Loren reçoit des mains de Serge Losique le Grand Prix spécial des Amériques dans le cadre du Festival des films du monde de Montréal en 2001.

DANS LE SILLAGE DE LOSIQUE

En 1983, Claude Fournier lance son film Bonheur d'occasion. Des tractations ont lieu entre le FFM et le festival de Toronto afin d'obtenir l'oeuvre en primeur. Las de négocier avec la productrice Marie-José Raymond, Serge Losique lance un jour à Claude Fournier: «Quitte cette productrice, c'est une emmerdeuse!» «Il ne savait pas que Marie-José était ma conjointe, raconte Claude Fournier en riant. On est ensuite devenus de bons amis.»

Être dans le sillage de Serge Losique, c'est connaître des sentiments et des climats extrêmes. L'homme peut être tranchant, dur et impitoyable. Mais il est aussi capable de douceur et de générosité. «Cet homme n'a pas d'"affect", dit Jean Fortier. Il a fait du mal autour de lui. Il a laissé pendant des mois des employés et des comptes impayés. Là-dessus, il n'a aucun scrupule. Il a brûlé beaucoup de contacts au fil du temps.»

Selon Danièle Cauchard, Serge Losique est une personne qui délègue beaucoup, ce qui est très motivant pour ses collaborateurs. De son côté, Daniel Bouchard, qui a été directeur du marketing au FFM de 2008 à 2015, a beaucoup aimé travailler avec Serge Losique. «Ce furent de très belles années. Je jouissais d'une grande latitude.» Il hésite toutefois à en dire davantage, craignant des «problèmes».

Cette réserve, nous l'avons également retrouvée chez Christiane Colson, ex-comptable du FFM. «Je ne me prononcerai pas là-dessus. C'est lui qui dirigeait et il le faisait comme il voulait. J'ai survécu à tout cela. C'est tout.»

À fleur de peau

Danièle Cauchard, qui a quitté le FFM il y a trois ans, reconnaît que Serge Losique est capable de terribles colères. «Alors que je travaillais sur le même étage, je l'ai vu parfois passer sans transition d'un état jovial à une humeur massacrante et je ne comprenais pas la raison de ce changement soudain. Un jour, par hasard à la télévision, j'ai vu un documentaire sur le développement du jeune enfant. On considère que le jeune enfant a franchi une étape cruciale quand, au lieu de hurler et trépigner, il se met à dire simplement "j'ai faim" ou "j'ai soif". J'en ai conclu que c'était le problème de Serge Losique: il n'avait pas franchi cette étape de développement. C'était devenu un sujet de plaisanterie au bureau. Je me suis mise à apporter des bananes et des biscuits et le problème était momentanément réglé.»

Même si les amis sont moins nombreux qu'avant, Serge Losique continue d'entretenir la flamme avec certains d'entre eux. Il y a quelques mois, apprenant que Claude Fournier et Marie-José Raymond, fondateurs d'Éléphant: mémoire du cinéma québécois, étaient poussés vers la porte, il a téléphoné à son ancien comparse de 87 ans. 

«Il m'a dit que c'était de l'âgisme et qu'il fallait que je me batte. Cet homme est incroyable.»

Serge Losique ne laisse personne indifférent. Ses relations interpersonnelles sont faites de sentiments divers. «Il fait partie de ces gens dont je peux dire que je ne les admire pas, mais de qui j'ai beaucoup appris», dit Jean Fortier.

Une chose est certaine, le principal intéressé estime avoir toujours l'appui des cinéphiles montréalais. «Le grand public a une excellente opinion de Serge Losique, lance-t-il en parlant de lui à la troisième personne. Le monde entier, qui est objectif, respecte ce qu'a fait Serge Losique!»

QUELQUES DATES

1957: Arrivée à Montréal.

1967: Fondation du Conservatoire d'art cinématographique de Montréal.

1977: Première édition du FFM, avec Ingrid Bergman.

2004: Publication du rapport Secor, à la suite duquel les institutions retirent leurs subventions au FFM.

2005: Création d'un nouveau festival de cinéma, soutenu par les institutions, organisé par Spectra. À la suite de ce fiasco, le FFM retrouvera son financement.

2014: Fin du financement public. Serge Losique parvient néanmoins à tenir son festival.

2018: Revenu Québec menace le FFM d'une injonction pour une dette qui avoisinerait les 500 000 $. Une «sûreté de 32 800 $ ayant été payée avant le 1er août, la menace d'injonction a été levée.

23 août 2018: Début du 42e FFM.

Photo Bernard Brault, archives La Presse

La comédienne Penélope Cruz fait son entrée à la conférence de presse lors du Festival des films du monde de Montréal en 2004.