Vous pensez que c'est difficile de faire des films au Québec? Essayez l'Albanie, pour voir. Le réalisateur Fatmir Koçi, qui présentait hier en première mondiale son film Elvis Walks Home, a expliqué devant le public d'une centaine de personnes au Cinéma Impérial que, dans son pays, on fait tout au plus trois ou quatre films par année. «C'est très difficile de faire des films. Je suis heureux de présenter le mien dans une ville qui aime tellement le cinéma!»

On dirait bien qu'en Albanie comme au Québec, Elvis Presley est un symbole d'acculturation, car Elvis Walks Home propose un synopsis un peu psychotronique, comme le Elvis Gratton de Falardeau, mais en beaucoup plus gentil, même si l'histoire est ancrée en zone de conflits.

Nous sommes en 1999. Mickey (sympathique Dritan Kastrati) - qui porte un autre nom très pop américaine - est un imitateur d'Elvis d'origine albanaise vivant à Londres que son agent envoie divertir les troupes britanniques de gardiens de la paix dans une ville des Balkans en pleine guerre. Il n'aura pas le temps de faire son numéro parce que les soldats locaux, en apprenant ses vraies origines, veulent l'arrêter. Dans ce coin-là où tout le monde se tire dessus, on n'aime pas les Albanais. Mickey s'enfuit avec une jeep de l'ONU et se retrouve à errer en pleine campagne dans les habits blancs et clinquants du King - même la fameuse cape. Il est capturé par un groupe d'enfants soldats qui tentent de survivre comme ils peuvent, à qui il fait croire qu'il est médecin. Il va tenter de les amener en lieu sûr, malgré ses habits ridicules et avec pour seule arme sa guitare. Un périple qui lui fera renouer avec sa véritable identité.

Le réalisateur raconte que beaucoup d'Albanais ont caché leur identité pendant cette période, que c'est même assez courant que les immigrants veuillent laisser derrière eux les mauvais souvenirs, jusqu'à s'oublier eux-mêmes.

«Un million de personnes sur une population de 3,5 millions en Albanie ont quitté le pays depuis 25 ans. C'est assez ironique, car l'acteur principal a lui-même quitté l'Albanie pour Londres quand il avait 12 ans.»

Le ridicule et le tragique

Pour Fatmir Koçi, la figure d'Elvis était un choix logique, parce que reconnue universellement. De plus, cela apporte au film, nous dit-il, «quelque chose de drôle et de ridicule, même si c'est douloureux et triste». Tout de même, Elvis est aussi un symbole culturel et, selon lui, «la seule façon d'abandonner la violence et d'établir la paix est d'aller à un niveau spirituel, car les conflits et la haine qui perdurent longtemps dans des pays ne peuvent être résolus par la force ni par l'économie, mais par l'art et la culture».

Et, justement, l'art et la culture en Albanie, ça n'a pas l'air d'être facile. Fatmir Koçi - qui a d'ailleurs cofondé la première école de cinéma albanaise en 2004 - estime que l'Albanie d'aujourd'hui, après des décennies de dictature et la guerre, a sombré dans «un mauvais capitalisme typique : les pauvres deviennent plus pauvres, les riches deviennent plus riches». Et il n'y a pas beaucoup de films pour que les Albanais puissent se voir à l'écran ou réfléchir à leur situation. À ce sujet, il confie sa détestation de Netflix, qui prend toute la place et qui «tue l'art». «C'est un film difficile à vendre et à distribuer», a-t-il expliqué aux spectateurs montréalais, qui l'ont vu avant même qu'il ne soit présenté en Albanie au mois de novembre.

Nicole, une cinéphile dans la soixantaine, habituée du FFM, discutait après la projection avec le réalisateur, lui expliquant que le festival n'avait pas le lustre d'antan, mais que «c'est encore tellement important de voir des films qu'on ne peut jamais voir ailleurs». Et c'est assez vrai qu'on n'aurait jamais pu voir un Elvis albanais ailleurs qu'au FFM. On veut en parler avec un jeune homme qui scrute la programmation dans les vitrines de l'Impérial, pour découvrir qu'il s'agit d'Oleg Ageichev, réalisateur russe venu présenter son premier film, Dominika, et qui découvre aussi Montréal pour la première fois. «Je suis un peu nerveux», dit-il...

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE