Héctor Babenco, cinéaste né en Argentine mais Brésilien d'adoption, est mort d'une crise cardiaque le 13 juillet dernier. Il avait 70 ans. Savait-il qu'il tournait son dernier film l'an passé ? Sentait-il qu'il n'en avait plus pour très longtemps à vivre, lui qui, 10 ans plus tôt, avait combattu un cancer foudroyant qui avait failli le tuer ? Impossible de ne pas se poser ces questions en voyant My Hindu Friend, son film-testament, présenté samedi soir dans la Compétition officielle du FFM.

Ce film, c'est pour ainsi dire la plus grosse prise du FFM, notamment parce que Babenco est un cinéaste réputé et respecté à Cannes comme à Hollywood pour des films comme Pixote ou Le baiser de la femme araignée, qui a valu un Oscar à l'acteur américain William Hurt. Or, par on ne sait quelle opération du Saint-Esprit, c'est le FFM, et non Venise ou Toronto, qui a eu la primeur de My Hindu Friend. Et c'est Willem Dafoe qui a tenu à venir en personne samedi soir de Rome pour cette première mondiale à l'Impérial.

D'aucuns disent déjà qu'en interprétant le rôle de Diego, un cinéaste atteint d'un cancer qui implore la mort de le laisser tourner un dernier film, Willem Dafoe livre une performance d'une rare puissance susceptible de lui valoir une nomination aux Oscars.

Chose certaine, on n'aura jamais vu un acteur simuler avec autant de justesse et de force la maladie et la souffrance physique et morale. Amaigri, le visage ravagé et exsangue, le regard fiévreux, Willem Dafoe n'a aucune difficulté à nous convaincre qu'il ne passera pas la nuit alors qu'il gît, pâle et intubé, dans la pénombre bleutée d'une chambre d'hôpital. On pense au visage un peu trop rose et joufflu de Rémy Girard dans Les invasions barbares et on se dit qu'il aurait eu quelques leçons à prendre de Dafoe.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, Babenco n'a pas voulu mettre en scène sa mort, mais bien l'histoire de sa survie miraculeuse en 1994, alors qu'il a combattu et surmonté un cancer du système lymphatique qui l'a tenu loin du cinéma pendant cinq ans et qui a nécessité une transplantation de moelle osseuse.

Tourné de manière hyperréaliste, avec une direction photo splendide qui joue admirablement sur les clairs-obscurs, My Hindu Friend se permet par ailleurs quelques touches de réalisme magique, notamment lorsque la mort, interprétée par un type ordinaire qui fait sa job, vient visiter Diego la nuit et finit par accepter de lui accorder un sursis.

On retrouve dans My Hindu Friend les thèmes chers à Babenco : l'enfance, dans ce cas-ci incarnée par un gamin indien qui subit des séances de chimio avec Diego et qui finit par se lier d'amitié avec lui, les écueils de la richesse à travers un couple d'Américains snobs et superficiels, et puis les femmes- toujours splendides et souvent nues -, femmes qui se retrouvent au coeur de quelques scènes de sexe crues, pas piquées des vers. Je pense notamment à cette scène où une prostituée, dépitée par l'impuissance de Diego, se masturbe avec un godemichet en plexi couleur ambre. Certaines âmes sensibles risquent de ne pas s'en remettre.

Pour le reste, My Hindu Friend est un beau et grand film sur la vie, la mort, l'amour, le sexe et la création, un film rendu d'autant plus émouvant par le jeu poignant et sensible de Willem Dafoe. Je vois mal comment on pourrait ne pas donner un prix à ce beau film et ainsi rendre un hommage posthume à un grand cinéaste qui le mérite.

THRILLER AGROALIMENTAIRE

Samedi matin, c'était au tour du cinéma français de nous surprendre avec Toril, du jeune cinéaste Laurent Teyssier. Pour ceux qui l'ignorent - et j'en étais -, un toril est un enclos où sont enfermés les taureaux avant d'entrer dans l'arène pour le combat. Dès la première scène du film, on se retrouve dans une arène à Arles où un taureau lâché lousse est pourchassé par une bande de types vêtus de blanc. Parmi eux, il y a Philippe, le personnage principal, un fils de cultivateur dont le père est en faillite. D'entrée de jeu, le réalisateur crée un climat lourd et anxiogène, nous laissant croire que Philippe va sans doute finir comme le taureau dans l'arène. Ce ne sera pas tout à fait le cas, même lorsque Philippe tente de sauver la terre de son père en s'associant aux plus gros narcotrafiquants de la région. Il apprendra à ses dépens qu'une fois qu'on met la main dans un tel engrenage, il est difficile de s'en extirper.

Tourné avec une distribution totalement inconnue dans les paysages inspirants du sud de la France, le film réussit le double exploit de nous sensibiliser aux dures réalités des agriculteurs français et de nous entraîner dans un thriller d'une redoutable efficacité. Une belle découverte.

UN HOMME HEUREUX À MONTRÉAL

Pierre-Henri Deleau n'est pas n'importe qui. Pendant près de 30 ans, il a été chargé de la programmation de la Quinzaine à Cannes. Il a fait le tour du monde et des festivals, vu trois millions de films (au moins). Et cette année au FFM, il est venu donner un coup de main à son copain Losique, d'abord en siégeant au jury des premières oeuvres, mais aussi en acceptant à la dernière minute de se joindre au jury de la Compétition officielle, après le désistement de quelques membres. Est-ce qu'il se plaint ? Pas une seule minute.

Samedi matin, sur le trottoir baigné de soleil alors qu'une file de jeunes Japonais excités à l'idée de voir une comédie romantique japonaise s'étendait jusqu'à Sainte-Catherine, Pierre-Henri Deleau était heureux. Heureux d'être à Montréal et de voir des films et encore des films, y compris de premières oeuvres, dont une qu'il a qualifiée de carrément géniale. Heureux de constater que le FFM est plus vivant que jamais et qu'après l'Outremont et le cinéma du Parc, le Forum est revenu sur sa décision et lui a ouvert une salle.

« Ce qui est incroyable, c'est que malgré la désorganisation, le chaos, les pépins et tout le mal qu'on a dit de ce festival, regardez-moi cette file ! Les gens sont au rendez-vous malgré tout. Nulle part au monde vous n'allez voir ça. Et dire que la Ville de Montréal continue de faire comme si ça n'existait pas. »

À deux jours de la fin d'un festival qui a connu son lot de tourments, de coups durs, de critiques et de plaintes, autant dire que c'est rafraîchissant à entendre.