Difficile à croire, mais l'ami Cassivi et votre humble serviteur se sont retrouvés à interviewer Serge Losique pour la toute première fois de leur carrière la semaine dernière. Le compte-rendu de cette rencontre fut publié dans nos pages samedi. De tout temps très avare d'entrevues, le président fondateur du Festival des films du monde a consenti à rencontrer quelques journalistes cette année, histoire de faire le point sur son événement, lancé hier pour la 36e fois.

Une conversation avec celui dont l'obstination est aujourd'hui devenue légendaire, au point de forcer l'admiration, passe inévitablement par de nombreux détours historiques. Depuis le temps que le cinéma lui coule dans les veines, Serge Losique a indéniablement contribué à la formation de plusieurs générations de cinéphiles montréalais. Il n'est pas tout seul, remarquez. L'apport de vétérans comme Roland Smith (ah les beaux jours du Théâtre Outremont!) ou Claude Chamberlan (Parallèle, Festival du nouveau cinéma) comptent tout autant dans la diffusion d'oeuvres cinématographiques plus singulières au Québec. D'autant que c'était à une époque où l'offre culturelle ne se concentrait pas principalement sur les produits destinés à atteindre le plus large public possible.

Monsieur Losique rappellera toutefois avoir été il y a 50 ans l'instigateur du tout premier cours de cinéma accrédité au Canada (à l'Université Concordia de Montréal). Cet érudit fut d'ailleurs pendant des années à la tête du Conservatoire d'art cinématographique de l'Université Concordia. Le Festival du cinéma étudiant, qui a maintenant plus de 40 ans, fut aussi l'une de ses initiatives.

Tout en vous montrant les objets historiques qui ornent son bureau (dont un vieux cinématographe payant), il vous parlera des grands maîtres du cinéma, d'une scène tirée d'un Tarkovski, et de toutes ces légendes du cinéma qui ont foulé les tapis rouges du FFM depuis sa création en 1977. Il rappellera aussi que l'année de la fondation du Festival des films du monde, l'Association québécoise des critiques de cinéma a mis de son côté sur pied le Festival international de la critique québécoise. Forcément, la presse s'était plutôt rangée du côté du «rival». Mais cet événement n'a vécu que deux ans. Pas d'hier que Serge Losique fait face à l'adversité...

Et la réalité d'aujourd'hui? Elle a bien changé. Les festivals de cinéma se sont multipliés, la chasse aux primeurs est plus féroce que jamais, et le FFM a subrepticement vu sa vocation changer. La directrice générale et fidèle complice du président, Danièle Cauchard, l'avait d'ailleurs reconnu l'an dernier au cours d'une interview. «Par la force des choses, nous avons dû nous définir différemment, avait-elle déclaré. Cela n'est pas uniquement dû à la multiplication des festivals. Le monde de la distribution s'est aussi profondément transformé. Au début, nous faisions affaire avec une vingtaine de distributeurs québécois qui, tous, étaient entièrement libres de leurs choix. Aujourd'hui, il n'en reste que quelques-uns. Bien souvent, ils ont les mains liées et doivent se soumettre aux décisions d'un distributeur américain.»

L'équilibre d'une programmation entre réalisateurs émergents et cinéastes confirmés est de plus en plus difficile à atteindre. À la fin du mot de bienvenue publié dans le catalogue cette année, le duo indique que le FFM «continue son travail de tête chercheuse en offrant à des jeunes cinéastes la chance de se faire connaître». Voilà peut-être la signification du «définir différemment» de Danièle Cauchard.

En 2012, âgé de 81 ans, Serge Losique, lui, persiste et signe. Son festival reste le seul festival compétitif d'Amérique du Nord accrédité par la Fédération internationale des associations des producteurs de films (FPIAPF). Il est rangé dans la même catégorie des festivals compétitifs que Cannes, Berlin, Venise, Karlovy Vary, Locarno, Moscou, et sept autres. Toronto, avec lequel il réfute toute comparaison, est classé dans la catégorie des festivals non compétitifs (avec trois autres). Contrairement à la croyance populaire, les catégories «A», «B», ou «Z» relèvent d'une vue de l'esprit. La FPIAPF ne fait pas de hiérarchie dans le classement des festivals qu'elle accrédite, du moins si l'on se fie aux documents qu'elle met en ligne sur son site officiel. Mais quand on répond que les papes restent en poste jusqu'à leur mort à une question portant sur une éventuelle retraite, on peut bien se permettre de petites croyances, non?

Le vrai film d'ouverture

Million Dollar Crocodile, ce long métrage chinois de Lisheng Lin sélectionné en guise de film d'ouverture du 36e FFM, ne laissera pas de souvenir impérissable dans les mémoires des cinéphiles. En revanche, on retiendra MacPherson, un admirable court métrage d'animation de Martine Chartrand. Le vrai film d'ouverture, c'était celui-là.