Un an après avoir remporté le prix du meilleur film canadien avec Ceux qui font la révolution à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau, Simon Lavoie était de retour au TIFF. Mais sans Mathieu Denis, cette fois. Il y était avec l'adaptation au cinéma de La petite fille qui aimait trop les allumettes, roman emblématique de feu Gaétan Soucy.

Mais cette année, Simon Lavoie n'a pas eu droit aux égards de l'an passé. Son film n'a pas été présenté dans la salle à 992 places du Winter Garden, mais dans deux petites salles du TIFF Bell Lightbox, peut-être en réaction aux trop nombreux spectateurs qui avaient quitté la salle en pleine projection de son dernier film. Un peu comme si, cette année, le TIFF n'avait pas voulu jouer avec le feu...

Hier matin, la salle de 153 places était à moitié pleine (ou vide), mais il faut dire qu'il était tôt le matin - 10 h - au moment où le festival, entré dans sa septième journée, connaît un creux dans toutes ses salles.

Reste que ceux qui somnolaient hier matin ont été réveillés, et pas à peu près, par un film aussi radical, poétique et sans compromis que l'était le roman de Gaétan Soucy.

Aussi un film, il faut le dire, qui, grâce à la mise en scène inspirée de Lavoie, à la superbe direction photo de Nicolas Canniccioni et aux talents des trois principaux acteurs - Marine Johnson, Antoine L'Écuyer et Jean-François Casabonne -, est plus accessible et compréhensible que le roman.

En guise de présentation, Lavoie a qualifié son film de drame d'époque poétique pré-Révolution tranquille. C'était une description assez juste. Tout ce qui faisait problème à l'époque - la religion et la répression sexuelle et morale de la société québécoise - est évoqué avec force et poésie au milieu de cette maison dans le bois laissée à l'abandon par un veuf alcoolo et ses deux enfants, dont la fameuse petite fille à qui il interdit d'être une fille. Le film est en noir et blanc, et tant sa composition visuelle que son rythme rappellent les films de Bresson ou de Pasolini, deux grandes inspirations pour Lavoie.

Ceux qui ont lu et aimé le roman de Gaétan Soucy ne risquent pas d'être déçus. Quant au grand public, si ses membres ne sont pas des cinéphiles avertis, ils bouderont probablement la petite fille et ses allumettes. Dommage, car cinématographiquement, il s'agit du film le plus maîtrisé d'un cinéaste qui gagne à être fréquenté.

Quand Annette trompe Warren

Si on n'était pas assis dans une salle de cinéma, on jurerait qu'Annette Bening est tombée follement amoureuse de Jamie Bell, celui qui a autrefois incarné Billy Elliot au grand écran. Dans Film Stars Don't Die in Liverpool, présenté en grande première mardi, les deux ont l'air si épris l'un de l'autre, si crédibles et authentiques qu'on ne peut s'empêcher de croire à leur amour.

Mais nous sommes au cinéma, et Annette Bening n'est pas Gloria Grahame, star d'Hollywood sur son déclin. Quant à Jamie Bell, il n'est pas Peter Turner, acteur au chômage de Liverpool qui, à la fin des années 70, a rencontré Gloria Grahame et a vécu une histoire d'amour passionnelle avec elle. Peter Turner a tellement aimé Gloria, qui est venue vivre chez ses parents à Liverpool quelques mois avant que le cancer ne l'emporte, qu'il a écrit un livre sur leur histoire d'amour. Sorti en 1987, Film Stars Don't Die in Liverpool vient seulement d'être porté à l'écran par l'Écossais Paul McGuigan.

C'est une histoire d'amour atypique que ce film décrit avec une touchante humanité: celle d'un homme jeune et d'une femme qui a le double de son âge. Mais le film n'est pas seulement une histoire cliché de couguar et de jeune Adonis. Il explore surtout la relation particulière entre une star d'Hollywood habituée aux tapis rouges et un jeune chômeur, issu d'un milieu ouvrier, pas désespérément pauvre, mais pas riche non plus. 

C'est la rencontre de ces deux mondes, l'un factice et tout en apparences, l'autre tout en chaleur et en générosité, qui se déploie devant nos yeux dans cette ode à l'amour signée par Paul McGuigan, surtout connu pour son film Docteur Frankenstein avec Daniel Radcliffe. En prime, le film exploite le talent incommensurable de deux acteurs au sommet de leur art.

Mais je le répète, nous sommes au cinéma. Or, dans la vraie vie, lorsqu'Annette Bening et Jamie Bell se sont pointés dans la salle de conférence, la magie s'est estompée pour céder la place à une actrice de 59 ans, grande, mince, élégante et dépassant de plusieurs têtes le jeune Jamie Bell, qui avait l'air dix fois plus jeune et trois fois plus petit qu'à l'écran. 

Pour le reste, les deux ont défendu avec conviction leurs rôles respectifs, ne laissant planer aucune ambiguïté sur leur attraction mutuelle, redevenue, dans la vraie vie, non pas follement passionnelle, mais follement platonique.

Et la grande absente de toute cette affaire: Gloria Grahame, emportée par un cancer en 1981 à l'âge de 57 ans. Le film nous fait vivre à quoi ressemble une fin de carrière à Hollywood pour une actrice qui avait quand même joué aux côtés de Humphrey Bogart et remporté l'Oscar de la meilleure actrice de soutien dans The Bad and the Beautiful, en 1953.

Professionnellement, Gloria Grahame a connu ses moments de gloire, mais sa vie privée a été un désastre. Mariée quatre fois, mère de quatre enfants de pères différents, dont le cinéaste Nicolas Ray, Gloria semble s'être mis à dos le Tout-Hollywood lorsqu'elle a entrepris une relation avec le fils d'un de ses maris. 

Gloria aimait les jeunes hommes et avait l'oeil pour les repérer. De toute évidence, ce n'est pas le cas d'Annette Bening, mariée à Warren Beatty depuis 21 ans et mère de ses quatre enfants. Mardi soir, son célèbre mari, maintenant âgé de 80 ans, s'est pointé sur le tapis rouge à son bras tandis que, quelques mètres plus loin, Jamie Bell et Kate Mara, fraîchement mariés, les précédaient en se tenant la main, dissipant tout doute sur la moindre histoire d'amour entre Annette et Jamie. Ainsi va la vie... et le cinéma.

Guillermo del Toro, citoyen de Hamilton

C'est un détail qui m'avait échappé dans la cohue du passage du cinéaste mexicain Guillermo del Toro, gagnant du Lion d'or à Venise pour The Shape of Water. Mais le fait est que le jovial Guillermo a un lien privilégié avec Toronto, où il a tourné quatre de ses films, dont The Shape of Water. N'empêche. La ville qu'il aime par-dessus tout, une de ses préférées au monde, c'est - croyez-le ou non - Hamilton. Sans blague. 

Le Mexicain, né à Guadalajara, aime tellement Hamilton - qu'il fréquente depuis les années 90 et qu'il décrit comme le paradis de la créativité et des crêpes - qu'il rêve d'y installer son studio de production. Pas de doute possible: cet homme est vraiment étrange, sinon un brin cinglé.

Photo fournie par le TIFF

Antoine L'Écuyer dans La petite fille qui aimait trop les allumettes