La rumeur venue de Venise était bien vraie: le film d'animation de Charlie Kaufman est un objet étrange qui s'impose par sa singularité et sa poésie. De son côté, le thriller d'Atom Egoyan laisse le spectateur perplexe.

L'histoire de la fabrication d'Anomalisa, qui vient d'obtenir le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise, est déjà intéressante. Né d'une rencontre entre l'éminent scénariste Charlie Kaufman et Duke Johnson, un animateur spécialiste de la technique «stop motion», Anomalisa est d'abord inspiré d'une pièce «radiophonique» en un acte que l'auteur a écrite à la faveur d'un concert du compositeur Carter Burwell.

Grand admirateur du scénariste de Being John Malkovich, Adaptation et Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Duke Johnson a ensuite travaillé avec Charlie Kaufman pendant deux ans afin de faire exister ce film doté d'un budget relativement modeste, dont les deux hommes cosignent la réalisation. Plusieurs donateurs ont d'ailleurs participé au financement du film par le truchement du programme Kickstarter. Au générique, des remerciements spéciaux sont faits à 1070 personnes!

Charlie Kaufman, qui avait signé une première réalisation il y a huit ans (Synecdoche, New York), entre cette fois dans la tête de Michael, un homme «moyen», visiblement insatisfait de sa vie, en proie aux affres de la dépression. Auteur d'un ouvrage qui sert de référence aux entreprises afin de modeler les services à la clientèle, l'homme se rend à Cincinnati afin de donner une conférence à des congressistes.

Un récit simple et poétique

Le nom de l'hôtel où descend Michael - le Fregoli - indique déjà la teneur du propos. En psychiatrie, le syndrome de Fregoli est une psychose qui provoque chez la personne atteinte un délire paranoïaque particulier. Dans ce cas-ci, Michael se croira persécuté en imaginant que tous ceux qui l'entourent sont en fait une seule et même personne qui ne fait que changer d'apparence.

Ainsi, tous les personnages ont la même voix masculine (celle de Tom Noonan), y compris les femmes et les enfants. Il n'y a que deux exceptions: Michael, d'origine britannique (David Thewlis), ainsi que Lisa (Jennifer Jason Leigh), la seule voix féminine entendue dans le film.

De ce point de départ, qui peut sembler complexe, Kaufman tire pourtant un récit très simple, riche de toutes les petites absurdités que la vie comporte. Michael se permettra aussi une petite aventure sentimentale avec Lisa, une congressiste dont l'estime personnelle est à plat. Le conférencier éprouvera pourtant pour cette dernière un vrai coup de foudre. Il est à noter que depuis la glorieuse époque de Team America, jamais n'avions-nous eu droit à une scène érotique dont les protagonistes sont des «marionnettes»...

Si la vision qu'offre Kaufman est plutôt sombre et désespérée, son film, bizarrement, est aussi lumière et poésie. Certains passages sont très drôles, tant sur le plan des dialogues que des situations. Et témoignent d'un esprit imaginatif hors du commun.

Aucune date de sortie n'est encore prévue pour l'instant, mais grâce à la visibilité qu'il vient d'obtenir à Telluride, Venise et Toronto, Anomalisa apparaîtra sans doute bientôt sur le calendrier d'un distributeur. Souhaitons-le.

La chasse au nazi d'Atom Egoyan

Selon les médias présents à la Mostra de Venise, le nouveau film d'Atom Egoyan, Remember, aurait été gratifié là-bas d'une ovation de 10 minutes. On peut présumer que ces applaudissements étaient principalement destinés à Christopher Plummer. L'acteur donne en effet à son personnage une dimension qui élève sa performance bien au-delà de la qualité moyenne du scénario, signé Benjamin August.

Empruntant la forme d'un thriller, Remember relate l'invraisemblable chasse au nazi que fera un vieil homme pour retrouver celui qui a éliminé sa famille à Auschwitz 70 ans plus tôt. Il appert que Zev, âgé de 90 ans, est aujourd'hui atteint de démence. Et perd progressivement la mémoire. Or, un ami de la maison de retraite (Martin Landau), qui n'a pratiquement plus de mobilité, convainc Zev de partir sur la trace du tortionnaire, responsable de l'exécution de sa famille aussi. Pour ce faire, il donne à son complice des instructions très précises sur papier, lesquelles serviront d'aide-mémoire.

Pour trouver le coupable, le vieillard s'enfuira de la maison de retraite, située à New York, et se rendra aux quatre coins de l'Amérique du Nord. Il y aura souvent erreur sur la personne, mais le scénario est élaboré de telle sorte que, malgré une volonté évidente de brouiller les pistes, le spectateur peut facilement deviner l'issue de l'intrigue.

Un point de départ discutable

On pourra trouver discutable le fait de construire un simple thriller avec des thèmes aussi délicats que l'Holocauste et la maladie d'Alzheimer. D'autant qu'ils sont ici abordés de façon superficielle, uniquement pour servir de ressort dramatique à l'histoire.

Egoyan, qui semble avoir beaucoup de mal à retrouver l'inspiration des beaux jours, accouche d'une réalisation assez générique. Il a toutefois su réunir devant sa caméra une distribution de tout premier ordre. Dean Norris, Bruno Ganz et Jürgen Prochnow se distinguent avantageusement dans des rôles secondaires. Et Christopher Plummer fait le reste.

«Je n'avais encore jamais joué ce genre de rôle auparavant, a déclaré l'acteur au cours d'une rencontre de presse plus tôt cette semaine. Habituellement, mon personnage mène l'action. Là, il est une victime. Cela n'est pas facile. Tu dois tout encaisser ce qui lui arrive!»

Remember prendra l'affiche au Québec le 23 octobre.