Le producteur et ancien distributeur Richard Goudreau se souvient d'années fastes au Festival des films du monde où il était très actif. «J'ai donné des réceptions monstres, dont un party de 800 personnes au chalet du mont Royal», se souvient-il.

Aujourd'hui devenu producteur (Les Boys, Les dangereux, Nouvelle-France), Goudreau économise temps et énergie pour le Toronto International Film Festival (TIFF), qui s'amorce quelques jours après la fin de l'événement montréalais. Il y retourne d'ailleurs cette année avec Elephant Song, nouveau film de Charles Binamé mettant en vedette Xavier Dolan.

Pourquoi Toronto? Parce que les gros acheteurs, à commencer par les Américains, sont là. Pas plus fous que leurs homologues d'ailleurs dans le monde, producteurs et distributeurs québécois y courent, les bras chargés de leurs plus récentes oeuvres.

«C'est une décision d'affaires. Il faut que ce soit une décision d'affaires», insiste M. Goudreau.

Le producteur Luc Déry, de micro_scope (Incendies, Monsieur Lazhar), dit la même chose. «Le TIFF a souvent servi de rampe de lancement pour nos films sur le plan des ventes internationales, dit-il. Donc, si tu choisis d'aller au FFM, tu passes à côté du TIFF et de réelles possibilités de ventes à l'étranger.»

Le distributeur et producteur Christian Larouche (Louis Cyr, La petite reine) estime qu'il y a quatre grands marchés du film dans le monde et que Toronto arrive en deuxième place. «Il y a Cannes, puis Toronto, Berlin et l'American Film Market», dit-il.

Bizarrement, le TIFF n'a pas officiellement de marché rattaché à ses activités. Mais comme tous les géants sont là, les suites des grands hôtels bourdonnent d'activité. «Il n'y a pas de marché officiellement, mais tu es officiellement obligé d'être là», blague Christian Larouche.

Pendant ce temps, d'aucuns affirment qu'il n'y a nulle âme qui vive au très officiel Marché international du film de Montréal, qui se tient à l'hôtel Regency.

«J'avais un film au FFM il y a quelques années. Je suis allé une couple de fois au marché avec mon badge. Il ne se passait rien. C'est un marché fantoche», dit un artisan du milieu cinématographique qui requiert l'anonymat.

D'autres festivals, tels Venise et Angoulême, qui ont lieu pratiquement en même temps que le FFM, peuvent lui faire ombrage. Le distributeur Armand Lafond (Axia Films) affectionne par exemple Angoulême et ses films francophones.

«Pour le distributeur que je suis, ce festival a une programmation extrêmement intéressante», dit M. Lafond qui, en 2013, y a acheté les longs métrages Suzanne et Quai d'Orsay.

Heureux Flamands

Au FFM, le directeur du Marché du film Gilles Bériault rejette les affirmations voulant que celui-ci soit mort. À preuve, il nous fait parvenir par courriel une publicité du catalogue 2014 du festival dans laquelle des artisans flamands affirment que leurs oeuvres lancées au FFM ont été vendues à travers le monde. Il y a Ben X (2007), Adem (2010), Hasta la vista, North Sea Texas (2011) et Le verdict (2013).

«Au fil des ans, nous avons une fréquentation stable de quelque 1000 professionnels de l'industrie qui viennent au marché», soutient M. Bériault.

Ce dernier ne tient pas de statistiques parce qu'il est très facile de faire dire n'importe quoi aux chiffres, argue-t-il. «Deux personnes peuvent se rencontrer une première fois au FFM et signer une vente six mois plus tard dans un autre festival. Qui va se rappeler que tout a commencé ici?»

L'événement montréalais a ses défenseurs, comme le distributeur Antoine Zeind (AZ Films) qui y présente cette année Aimer, boire et manger d'Alain Resnais en clôture.

«J'ai acheté le film à Berlin et je l'ai offert à M. Losique lorsque nous étions à Cannes, dit-il. Je ne le regrette pas. Eh oui, j'achète des films au FFM, comme Marina et Brasserie romantique que je distribuerai en salle l'an prochain à la Saint-Valentin. Le FFM a fait de très bonnes choses pour le cinéma à Montréal. Ses dirigeants n'ont pas su s'adapter aux années 2000, mais pourquoi les pénaliser? Enterrer le FFM n'est pas la meilleure chose.»

«Chaque participation au FFM m'a ouvert les portes de nombreux festivals à travers le monde», soutient de son côté le réalisateur Claude Gagnon (Karakara, Keiko, Kenny).

Gilles Bériault ne nie pas que Toronto ait un grand pouvoir d'attraction. «Les 25 gros acheteurs américains sont là et des milliers de personnes veulent les voir», dit-il. Mais il s'interroge sur l'impact du TIFF sur les productions québécoises. «Mis à part un ou deux films de Denys Arcand, nommez-moi un film québécois qui a connu une grande carrière au Canada anglais après avoir été lancé à Toronto», nous défie-t-il.

En coulisse, effectivement, certaines insatisfactions s'expriment. «Le TIFF est sur une pente descendante, glisse un artisan québécois qui fréquente l'endroit. Comme c'est un festival qui coûte de plus en plus cher, les organisateurs cherchent des commanditaires qui, eux, amènent des vedettes. Cela travestit l'esprit du festival.»

Dans le contexte, ajoute notre interlocuteur qui demande que l'on taise son nom, les meilleures heures de projection sont données aux Américains et les productions québécoises, européennes ou asiatiques se partagent ce qui reste.

Mais pente descendante ou pas, la planète du cinéma québécois sera encore une fois au TIFF cette année.

- Avec la collaboration de Marc-André Lussier