«Les films sont sombres cette année.» Cette remarque, on peut souvent l'entendre entre deux projections au festival de Toronto. Les cinéastes cristallisent dans leurs oeuvres l'essence d'une époque incertaine et inquiète. C'est inévitable. D'autres s'attaquent plutôt à des chapitres très sombres de l'Histoire. Pour mieux évoquer la complexité du genre humain.

Le cinéaste britannique Steve McQueen, à qui l'on doit notamment les remarquables films Hunger et Shame, plonge cette fois dans l'une des époques les plus douloureuses de l'histoire des États-Unis: celle de l'esclavage. Le cinéaste fait en outre valoir à quel point celle-ci a peu souvent été évoquée au cinéma.

«Il y a de la documentation, des reportages, mais cela ne provoque pas du tout la même sensation que lorsque l'on recrée l'époque à travers une histoire dramatique, a expliqué le cinéaste au cours d'une conférence de presse tenue plus tôt cette semaine. Je voulais voir des images sur ce passé. J'avais envie de faire un film sur l'esclavage, mais je n'arrivais pas à trouver l'angle. Ma femme m'a suggéré de lire le bouquin de Solomon Northup Twelve Years a Slave. Tout est parti de là.»

Un récit authentique

Ce livre, publié en 1853, soit au lendemain de sa libération, a été écrit par un homme ayant lui-même vécu un véritable calvaire. Habitant à Saratoga, dans l'État de New York, Solomon est un musicien respecté qui vit paisiblement avec femme et enfants. En 1841, il a été kidnappé, transporté dans le Sud et vendu comme esclave. Il sera miraculeusement "sauvé" de sa condition 12 ans plus tard.

Fidèle à son habitude, McQueen emprunte une approche très réaliste pour raconter le parcours d'un homme qui, du jour au lendemain, se retrouve coincé dans un environnement hostile, où il est battu quotidiennement.

S'il trouve au départ un «maître» quand même un peu plus «sensible» (Benedict Cumberbatch), Solomon, dont le nom d'esclave est Platt, connaîtra des jours encore plus difficiles le jour où, pour sa propre "sécurité", il est revendu. Son nouveau maître, Epps (Michael Fassbender), est un caractériel qui déverse ses frustrations sur ses esclaves. Torture, fouet et humiliations en tous genres figurent au programme. Fassbender, acteur fétiche de Steve McQueen, offre une composition hallucinante. Son personnage glace le sang.

De Chiwetel Ejiofor, extraordinaire dans le rôle de Solomon, jusqu'aux plus petits rôles, la distribution d'ensemble est exceptionnelle. Le film 12 Years a Slave se distingue aussi grâce à ses images, admirablement composées (photo signée Sean Bobbitt), de même qu'à toute la conception sonore (y compris la trame musicale de Hans Zimmer). Le long métrage compte aussi sur une participation de Brad Pitt. L'acteur, très impliqué dans l'action communautaire à La Nouvelle-Orléans (où le tournage de ce film a eu lieu), agit aussi ici en tant que producteur.

«Pour mener à bien un film comme celui-là, il faut beaucoup de confiance mutuelle, particulièrement entre les interprètes, fait valoir Michael Fassbender. Nous avions beaucoup de soutien sur le plateau et nous étions en confiance. On ne peut pas tricher avec l'Histoire. On doit la recréer de façon authentique. Quand tout y est, c'est comme de la musique dont tous les artisans suivent le rythme en harmonie. En tant qu'acteur, on peut alors aller à la limite et même au-delà.»

«Nous avions la responsabilité de dire la vérité, renchérit Steve McQueen. On ne pouvait pas dorer la pilule.»

À une question portant sur la pertinence de voir un cinéaste britannique s'attaquer à un épisode de l'histoire américaine, Steve McQueen a fait valoir la complexité des origines des Noirs en Occident. «Je vous ferai remarquer que ma mère est née à la Grenade et celle de Malcolm X aussi. L'histoire de l'esclavage aux États-Unis est aussi une partie de ma propre histoire. Mais au-delà de la race, il s'agit avant tout d'une histoire de dignité humaine.»

À La Nouvelle-Orléans, les équipes de Django Unchained et de 12 Years a Slave se sont croisées.

«Quentin Tarantino est venu me voir pour me demander si j'étais ennuyé par le fait qu'un autre film sur l'esclavage était en train de se faire, rappelle Steve McQueen. Pas le moins du monde, lui ai-je répondu. On peut faire encore bien d'autres films sur le sujet!»

La sortie en salle de 12 Years a Slave est prévue le mois prochain.