En choisissant The Fifth Estate (Le cinquième pouvoir) comme film d'ouverture, les organisateurs du Festival de Toronto n'auraient pas pu choisir meilleur moment. Le militaire Bradley Manning vient d'être condamné pour avoir dévoilé des documents secrets. Edward Snowden est toujours exilé en Russie pour avoir révélé les détails de programmes de surveillance massive. Et voilà qu'un film a été réalisé à propos de celui qui a démarré le bal en créant le site WikiLeaks: Julian Assange.

Évidemment, celui qui vit toujours en réfugié à l'ambassade de l'Équateur à Londres n'a pas foulé le tapis rouge du TIFF hier. Mais même libre de ses mouvements, Assange aurait sans doute choisi de passer outre. Ce dernier a en effet déjà déclaré, sur la seule foi d'une bande-annonce et d'une lecture d'une version antérieure du scénario, que ce film était «une attaque massive de propagande contre WikiLeaks».

Quand il a fait sa petite présentation devant la foule réunie au Elgin Theatre, 90 minutes avant la projection de gala au Roy Thomson Hall, le réalisateur Bill Condon (Kinsey, Dreamgirls) a révélé avoir eu depuis longtemps l'envie de faire un film à caractère politique. «Mais ce film pose essentiellement des questions, a-t-il prévenu. Il ne donne pas vraiment de réponses.»

Sur le même modèle que The Social Network, auquel il sera inévitablement comparé, The Fifth Estate décrit comment l'informaticien australien s'est transformé en cybermilitant. Inspiré en partie par Inside WikiLeaks: My Time with Julian Assange at the World's Most Dangerous Website, le bouquin qu'a écrit Daniel Domscheit-Berg (interprété par Daniel Brühl), le scénario de Josh Singer (The West Wing) évoque l'ascension d'une organisation, dont les révélations se sont avérées gênantes pour certains gouvernements, particulièrement le gouvernement américain.

À la surface

L'ennui, c'est que The Fifth Estate reste essentiellement à la surface des choses. Plutôt que d'aborder les vrais enjeux liés à l'émergence d'un nouveau pouvoir parallèle, Bill Condon orchestre son film comme un thriller d'espionnage. Les nombreuses scènes où les personnages interagissent par écrans interposés n'étant pas très cinématographiques au départ, on sent ici les efforts pour dynamiser cet aspect sur le plan visuel. Au point où le trait apparaîtra forcé par moments.

On sent aussi la griffe hollywoodienne dans l'approche que privilégie le réalisateur. Dans la mesure où même dans les (nombreuses) scènes ayant lieu à Berlin, en Norvège ou ailleurs, seule la langue anglaise est ici utilisée. Il n'y a guère qu'au Kenya où, semble-t-il, les gens s'expriment dans une autre langue que celle de Shakespeare.

À l'arrivée, Condon donne l'impression d'être passé à côté de son sujet. Le constat est d'autant plus dommage à faire que Benedict Cumberbatch (Star Trek: Into Darkness) offre ici une magnifique performance dans la peau de Julian Assange. Les failles du personnage sont évoquées mais la pertinence de ses actions, elle, est vivement (trop?) célébrée. Rappelons par ailleurs que le comédien britannique est l'une des stars les plus en vue de ce TIFF. Outre The Fifth Estate, Cumberbatch est aussi la tête d'affiche de 12 Years a Slave, le film très attendu de Steve McQueen, de même que d'Osange County, film dans lequel il donne la réplique à Meryl Streep.

Signalons enfin que plusieurs journalistes étaient furieux hier. Sans explication, à 48 heures de la journée d'ouverture, l'heure de la projection de The Fifth Estate réservée à la presse et aux gens de l'industrie est passée de 11h30 à 21h30, obligeant ainsi plusieurs scribes à rater leur heure de tombée. Décision du TIFF? Décision du distributeur Disney? Quelqu'un quelque part a pressenti un accueil plus tiède qu'enthousiaste? La réponse est difficile à obtenir. Chose certaine, ce genre d'hésitation est très rare dans le monde des grands festivals de cinéma. Et ne devrait jamais avoir sa raison d'être.

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Échos du TIFF

> Les 30 ans de The Big Chill

À l'occasion du 30e anniversaire du film de Lawrence Kasdan The Big Chill, une version restaurée a été présentée hier soir au Prince of Wales Theatre, en compagnie de plusieurs de ses artisans, dont Glenn Close et Meg Tilly. Il convient d'ailleurs de rappeler que ce «film d'une génération» fut pratiquement la première production hollywoodienne à être lancée en primeur mondiale à ce qui s'appelait à l'époque le «Festival of Festivals». L'essai ayant été concluant, les autres grands studios ont suivi, entraînant à leur suite les artisans du cinéma mondial.

> Un hommage à Roger Ebert

Avant la présentation de The Fifth Estate, la soirée d'ouverture tenue hier soir au Roy Thomson Hall fut marquée par un hommage sur vidéo à Roger Ebert, disparu en avril. Une plaque commémorative a aussi été remise à Chaz Ebert, la veuve du célèbre critique du Chicago Sun-Times. Au cours des dernières années, Roger Ebert ne tarissait pas d'éloges envers l'organisation du TIFF. Il a en outre déjà déclaré qu'à ses yeux de journaliste américain, le Festival de Toronto avait même surclassé Cannes dans la hiérarchie des grands festivals de cinéma.

> Les statistiques

Au total, 3850 films ont été soumis aux sélectionneurs du TIFF cette année, parmi lesquels 1042 produits ou coproduits au Canada. Du nombre, 366 ont été retenus (288 longs, 78 courts), venus de 70 pays, pour composer les 15 différentes sections que compte la programmation. De plus, 93% de ces films sont présentés ici en primeur mondiale ou en primeur nord-américaine. Et 28 écrans sont mis à contribution.