Il a régné d'une main de fer sur la pègre de Boston pendant près de 30 ans, sans jamais être inquiété par les autorités. Le «mythe» James «Whitey» Bulger, déjà récupéré par Hollywood, fait désormais l'objet d'un documentaire, présenté cette semaine à Sundance.

Whitey: United States of America v. James J. Bulger, dernier opus du cinéaste Joe Berlinger, nommé pour l'Oscar du documentaire en 2012, a été présenté hors compétition au festival du cinéma indépendant, qui s'achève dimanche à Park City, dans les montagnes de l'Utah (ouest des États-Unis).

«J'ai toujours été fasciné par l'histoire de Bulger», déclare le cinéaste à l'AFP. «Voilà un type qui a régné sur la pègre de Houston pendant près de trois décennies, n'a jamais été arrêté ne serait-ce que pour un excès de vitesse, a été averti par une taupe que les choses tournaient mal et est parti en cavale».

«Et quand il a finalement été arrêté, il est apparu clairement que pendant des années, il n'avait pas vraiment été recherché», ajoute-t-il.

Parrain tout-puissant de Boston pendant les années 70, 80 et 90, avec la complicité d'autorités corrompues, Bulger a finalement été arrêté près de Los Angeles en 2011 après 16 ans de cavale. Il été jugé à l'été 2013 et reconnu coupable de 11 meurtres. Il purge actuellement plusieurs peines de prison à vie.

«Cela promettait d'être l'un des plus gros procès dans le Massachusetts depuis le procès de Sacco et Vanzetti dans les années 20. Et j'ai pensé que je pourrais utiliser le procès comme trame pour raconter cette histoire longue de 30 ans», explique le cinéaste.

Bulger a fait l'objet de dizaines de livres, a inspiré le personnage incarné par Jack Nicholson dans le film Les Infiltrés de Martin Scorsese, et est au centre de deux autres projets actuellement développés par Hollywood.

«Il est passé dans la conscience collective, grâce à la machine à fabriquer les mythes de la culture américaine», affirme-t-il.

Extrêmement documenté, bénéficiant d'une interview téléphonique - rarissime - de Bulger avec son avocat, réalisée après le procès, et de témoignages de première main des familles des victimes, le film retrace avec force détails trente ans de terreur et de corruption des autorités.

«Ce film n'a pas pour objet de blanchir (Bulger). C'est un meurtrier brutal et sans pitié et il mérite d'être derrière les barreaux. Mais il y a des questions sur la corruption qui attendent encore des réponses», dit-il.

Les plus gros soupçons concernent le FBI, qui aurait été «acheté» par Bulger et aurait couvert ses activités, avant de l'informer que son arrestation était imminente, entraînant sa fuite et sa cavale - le FBI, qui affirme au contraire que Bulger était leur «indic», est le seul acteur de l'affaire à avoir refusé de participer au documentaire.

«Ma déception, concernant le procès, c'est qu'un grand nombre de questions qui auraient exposé plus précisément la corruption des autorités n'ont pas été abordées. Or les gens ont le droit de savoir comment nos institutions ont été corrompues, si les faits sont avérés», explique M. Berlinger.

De même, il regrette que Bulger n'ait pas pu défendre sa théorie - jugée farfelue par l'accusation - selon laquelle le procureur de l'époque, craignant pour sa vie après une vague d'arrestations dans la mafia, aurait offert l'immunité à Bulger en échange de sa protection.

«La défense de Bulger était très encadrée par le gouvernement. Il ne pouvait pas appeler certains témoins et n'était pas autorisé à aborder la question de l'immunité. Or l'une des bases du système judiciaire américain est que l'accusé doit pouvoir présenter une défense complète et argumentée, même si (la partie adverse) n'est pas d'accord», affirme-t-il.

La réaction des observateurs après la mort de l'un des témoins pendant le procès est d'ailleurs révélatrice, selon le cinéaste, du climat de suspicion général.

«Je ne pense pas qu'il ait été liquidé par quelqu'un lié au procès, dit-il. Mais les personnes qui assistaient au procès, notamment les journalistes, «évoquaient une possibilité réelle que les autorités aient été liées à sa mort. Cela montre à quel point la confiance des gens dans le système judiciaire a été secoué en profondeur».