En pleine controverse pré-Oscars autour de Zero Dark Thirty, le film sur la traque d'Oussama Ben Laden, Sundance présente un ambitieux documentaire sur le même sujet, voulant montrer «les faits» et «les visages» derrière cette longue chasse à l'homme.

Manhunt (Chasse à l'homme), l'un des films les plus attendus de l'édition 2013 du festival américain de cinéma indépendant, qui se tient à Park City (Utah, ouest) jusqu'à dimanche, est réalisé par l'Américain Greg Barker et produit par la chaîne de télévision HBO.

Il retrace dans les moindres détails, à partir d'entretiens avec des personnages-clé de la CIA, les années de patient travail qui ont finalement abouti au raid d'Abbottabad, au Pakistan, dans lequel Oussama ben Laden a été tué le 1er mai 2011.

Greg Barker, qui a commencé à travailler sur son film juste après le raid d'Abbottabad, savait qu'Hollywood travaillait sur le sujet. «Mais nous n'avons eu aucun contact», a-t-il déclaré lors d'une rencontre avec quelques journalistes. «J'ai été très discret sur mon projet, précisément à cause des controverses sur ce film, déjà à l'époque. Moins j'en disais, mieux c'était».

Zero Dark Thirty, signé Kathryn Bigelow, avait été accusé pendant son tournage d'être un film à la gloire du président Barack Obama, alors en campagne pour sa réélection, et a suscité depuis sa sortie les réactions outrées de la CIA, pour sa représentation sans fard de la torture comme l'un des moyens ayant permis d'obtenir des informations décisives sur ben Laden.

Trois des ex-agents de la CIA intervenant dans le film étaient à Park City pour accompagner la présentation de Manhunt, et ont fait part à l'AFP de leurs sentiments sur Zero Dark Thirty.

«C'était drôle à voir», déclare Cindy Storer. «En tant que divertissement, j'ai apprécié», ajoute Marty Martin, soulignant cependant qu'«il y a des erreurs dans le film, et évidemment elles vous touchent car vous connaissez les gens. La plus évidente et énorme, qui nous a rendu tristes, c'est la description de notre collègue Jennifer Matthews (interprétée par Jennifer Ehle), morte dans l'attentat de Khost» en Afghanistan fin 2009.

«un film de réflexion»

«Le personnage décrit dans le film, ce n'était pas elle. Elle était beaucoup plus sérieuse. C'était une représentation erronée de sa personnalité, de son comportement et de sa façon de travailler», dit-il.

Sur le sujet de la représentation de la torture, la condamnation est unanime. «Quand j'ai vu ça, je me suis dit: ''C'est quoi ce bordel? C'est une blague?''», déclare M. Martin.

«C'était horrible», insiste sa collègue Nada Bakos - dont le parcours présente de troublantes similitudes avec celui de Maya, le personnage interprété par Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty et dont l'identité est maintenue secrète par le scénariste du film Mark Boal.

«Les personnages ne montraient aucune humanité», poursuit-elle. «Ils devaient aborder le sujet car c'est quelque chose qui s'est passé et je pense que cela aurait pu être le point de départ d'une discussion. Mais cela n'aurait pas dû être le sujet principal du film».

Greg Barker - qui souligne que la CIA n'a eu aucun contrôle sur le contenu de son film - précise qu'il a voulu faire «un film de réflexion sur ce que la décennie passée, des attentats du 11-Septembre à Abbottabad, a signifié pour nous en tant que pays, à travers les personnes impliquées».

«Le fond d'un film comme celui-ci est que vous ne pouvez pas avoir Abbottabad et vous réjouir que ben Laden ait été tué sans regarder le chemin très compliqué, dans tous ses aspects, qui a abouti à cela», dit-il.

«Cela ne veut pas dire qu'il faut être d'accord avec tout et que l'on veuille reproduire certaines actions», observe-t-il. «Mais ma mission, comme cinéaste, est de mettre un visage sur la façon sont les décisions de politique étrangère ou de sécurité nationale sont réellement prises, avec toute la complexité morale et les ambiguïtés que cela implique».