Le triomphe de l'actrice Samal Esliamova à Cannes a créé la surprise jusque dans son propre pays. Le Kazakhstan espère désormais que ce succès profitera à une industrie du cinéma qui peine à décoller, sous un strict contrôle des autorités.

Samal Esliamova a été récompensée du titre d'interprétation féminine pour sa performance choc dans Ayka de Sergueï Dvortsevoï, où elle joue le rôle d'une mère célibataire poussée aux dernières extrémités pour survivre dans un Moscou sous la neige.

Elle n'est pas totalement inconnue au Kazakhstan. Mais sa victoire en France a poussé nombre de ses compatriotes à taper son nom dans les moteurs de recherche sur internet.

«Il y a de fortes raisons de célébrer, mais également de regretter» cette victoire, affirme auprès de l'AFP le cinéaste kazakh Ermek Toursounov. «L'actrice principale dans ce film est une femme de l'ethnie kazakhe du nord du Kazakhstan. Le réalisateur est un homme de l'ethnie russe du sud du Kazakhstan. Mais ce n'est pas un film kazakh. C'est un film russe».

Si un petit studio privé kazakh a participé à la réalisation d'Ayka, le financement a été fourni par le ministère russe de la Culture, l'Institut du film polonais et le Conseil de l'Europe.

Le Kazakhstan avait une riche tradition cinématographique du temps de l'Union soviétique, mais celle-ci a périclité après l'indépendance en 1991.

Le pays est aujourd'hui surtout connu à l'étranger pour la comédie de Sacha Baron Cohen, Borat sur un Kazakh aux États-Unis. Le film, qui dépeint le Kazakhstan comme un pays arriéré et barbare, n'avait pas fait rire les autorités qui l'avaient interdit.

Duo kazakh

La relation entre Samal Esliamova, 33 ans, et le réalisateur Sergueï Dvortsevoï, 55 ans, a parfois été comparée au partenariat entre l'un des duos les plus acclamés d'Hollywood, Quentin Tarantino et Uma Thurman.

Sergueï Dvortsevoï est originaire de Chimkent, dans le sud du Kazakhstan. Cette ville possède des liens culturels bien plus forts avec l'Ouzbékistan voisin qu'avec la Russie.

À l'inverse, Samal Esliamova vient du nord du Kazakhstan, à l'autre bout du pays, région près de la frontière russe où les Kazakhs ethniques sont en minorité.

Le duo a fait connaissance lors du casting de Tulpan, un film dont l'action est située dans la campagne kazakhe et qui a été réalisé dans des conditions très difficiles. Montré à Cannes en 2008, il a triomphé dans la section Un certain regard, réservée aux réalisateurs peu connus et aux thèmes marginaux.

À leur retour mardi à Astana, la capitale du Kazakhstan, Samal Esliamova et Sergueï Dvortsevoï ont été accueillis sous les vivats d'une foule qui a chanté une ballade populaire.

«Étincelle»

Le pays est «incroyablement heureux» de la victoire de Samal Esliamova à Cannes, affirme Ainour Issaïeva, la porte-parole du studio Kazakhfilm, qui espère qu'elle fera office d'«étincelle» pour les réalisateurs et acteurs locaux.

Si les studios privés et publics au Kazakhstan ont largement augmenté le nombre de films produits, les critiques restent très mesurés quant à leur qualité.

Les films les plus populaires des dernières années ont surtout été de grandes fresques patriotiques telles que le film à gros budget Nomad avec l'acteur américain Scott Lee en 2007.

Un autre film remarqué a été «Le ciel de mon enfance», qui retrace les jeunes années du pouvoir de Noursoultan Nazarbaïev et le passé soviétique du Kazakhstan.

Dans un pays de 17 millions d'habitants avec une population rurale importante, le marché cinématographique est relativement petit, aussi composé de comédies en kazakh et en russe.

Kazakhfilm, héritage soviétique détenu par l'État, produit toujours la plupart des films du pays. À Cannes, il était représenté par La tendre indifférence du monde de Adilkhan Erjanov, coproduit avec un studio parisien.

Nombre de critiques dénoncent la censure dans l'industrie du cinéma locale, et jugent que les autorités privilégient des films aux thèmes positifs ou des récits d'exploits.

Les cinéastes kazakhs «rencontrent souvent des difficultés dans la recherche de financements» pour des films qui pourraient présenter le pays sous un aspect peu reluisant, confie ainsi le critique Toleguen Baïtoukenov.

«Les films qui parlent de problèmes sociaux et politiques, vous ne les verrez pas ici», regrette M. Baïtoukenov. «Le cinéma est le miroir du pays. Lorsque le pays s'améliore, l'industrie du cinéma également».