Avec Dogman, en lice pour la Palme d'or, Matteo Garrone a frappé un grand coup mercredi soir à Cannes et révélé un acteur, Marcello Fonte, dans la peau d'un toiletteur pour chiens qui montre les crocs après avoir trop longtemps subi.

Loin de sa fresque sur la mafia, Gomorra, couronnée du Grand Prix du jury par Cannes en 2008, le réalisateur italien s'est cette fois penché sur un homme simple, Marcello. Divorcé, il vivote, avec un petit trafic de cocaïne pour améliorer les fins de mois. Et pour seuls amis ces chiens qui viennent dans sa boutique se refaire une beauté.

Trahi et humilié par celui qui a dû être un ami d'enfance, Simoncino (Edoardo Pesce), une montagne de muscles accro à la cocaïne, cet antihéros parfait perd peu à peu toute son innocence.

«Ce n'est pas un justicier. C'est un personnage enfantin, instinctif, qui ne comprend pas l'engrenage dans lequel il est entraîné», a expliqué Matteo Garrone jeudi en conférence de presse. «Car la violence est quelque chose de très contagieux».

«Mais mon personnage ne devient pas violent, il est comme une fleur qui pousse dans la boue mais qui reste blanche, ou disons grise, sans se salir totalement», a précisé Marcello Fonte, dans un large sourire.

Librement adapté d'un fait divers sordide à Rome à la fin des années 80, où un toiletteur pour chiens avait torturé et tué un criminel qui terrorisait le quartier, ce film est parti d'une simple «suggestion visuelle, celle de quelques chiens enfermés dans une cage qui assistent comme témoins à l'explosion de la bestialité humaine», selon les notes d'intention du film.

«Buster Keaton des temps modernes»

Découpé en trois actes, séparés par deux scènes de plongée sous-marine entre Marcello et sa fille, les seuls moments de paix du personnage, le film repose sur les épaules de Marcello Fonte. Aperçu dans Gangs of New York de Scorsese, chez Ettore Scola ou dans Corpo Celeste de Alice Rohrwacher, également en compétition à Cannes avec Heureux comme Lazzaro, l'acteur italien est éblouissant.

«Pour moi, Marcello est une sorte de Buster Keaton des temps modernes, quasiment un acteur du cinéma muet», a expliqué Matteo Garrone, en lui rendant hommage et en racontant comment il l'a découvert. «Nous étions en plein casting, dans un centre social où une compagnie d'anciens détenus faisait des essais pour une pièce de théâtre. Marcello était le gardien, il dormait dans ce centre. Il écoutait les essais du spectacle, et un jour l'un des anciens détenus s'est senti mal, il a eu un malaise, et il est mort. Il a pris sa place, il a fait le casting pour le film, et il a été choisi».

Homme humilié, regard de chien battu, Marcello tente de rester fidèle à ses valeurs. Et il redresse la tête, peu à peu, dans une tentative désespérée de regagner le respect des autres. Une performance qui ne devrait pas être loin de lui offrir le prix de l'interprétation masculine, pour lequel il pourrait être en compétition avec le Lazzaro de Alice Rohrwacher, lui aussi un innocent exploité par les autres.

Porté en triomphe par l'équipe du film, mercredi soir, Marcello Fonte a été longuement ovationné par les 2300 spectateurs du Grand Théâtre Lumière. Parmi eux, visiblement admirateur, Matt Dillon, l'acteur américain, aperçu lundi sous les traits du serial killer de Lars von Trier dans The House that Jack Built.

Mais le film vaut aussi par la maîtrise technique de Matteo Garrone. Deux fois Grand Prix du jury cannois, avec Gomorra mais aussi Reality, en 2012, le réalisateur italien rendrait presque belle cette cité balnéaire aux murs lépreux de Villaggio Coppola, dans le sud de la Péninsule. Ce «village de Western», telle qu'il l'a qualifiée.