En s'inspirant d'une histoire vraie survenue il y a près de 40 ans, Spike Lee retrouve ses repères en nous offrant un film à la fois drôle et tragique, qui fait directement écho à la question raciale, dans l'actualité aux États-Unis depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump. Le réalisateur de Do the Right Thing n'avait pas offert un aussi bon film depuis 25th Hour.

BlacKkKlansman emprunte d'abord les allures d'une comédie. On remarquera d'ailleurs dès le départ cette participation d'Alec Baldwin, surprenant dans le rôle d'un suprémaciste blanc sorti d'une autre époque, qui essaie d'englober tout son discours raciste dans une publicité destinée à la télé.

Puis, il y a cette idée qu'a eue ce policier noir du Colorado, Ron Stallworth (John David Washington), de tendre un piège à une organisation locale du Ku Klux Klan avec l'aide d'un collègue, blanc et juif (Adam Driver), qui a réussi à s'infiltrer au sein du groupe.

Avec beaucoup d'humour, et un sens du punch inouï dans les dialogues, Spike Lee relate à sa façon cette histoire véridique survenue en 1979, qui a mené au démantèlement du groupe dans la région.

De l'humour à la dénonciation

Mais au-delà de cette affaire, quand même inusitée, le cinéaste évoque avant tout la question raciale à l'ère Trump. Non seulement truffe-t-il son dialogue de formules utilisées par les partisans du président, mais l'un des personnages clés de l'histoire est David Duke. Interprété par Topher Grace, cet ancien directeur national du Ku Klux Klan a soutenu Donald Trump pendant la dernière campagne présidentielle.

Retraçant l'histoire en utilisant notamment des extraits d'Autant en emporte le vent et de Birth of a Nation, Spike Lee laisse progressivement de côté le ton humoristique dans le dernier acte pour dénoncer la présente administration. Pour ce faire, il insère des images tirées du drame de Charlottesville, survenu l'an dernier, ainsi que la déclaration controversée du président, qui avait alors dit que de «très bonnes personnes» se trouvaient aussi au sein des milices d'extrême droite.

On pourra alléguer une relative absence de subtilité dans l'approche du cinéaste, mais d'aucuns pourront y voir un miroir de l'époque dans laquelle on vit, guère subtile non plus sur le plan de la rhétorique. En fait, Spike Lee est de toute évidence en mission. Et ça lui va très bien.

BlacKkKlansman sortira le 10 août au Québec.

À mi-parcours

Douze des vingt et un longs métrages en lice pour la Palme d'or ont déjà été montrés aux festivaliers. Dans cette édition où l'on sent nettement un changement général d'état d'esprit, plusieurs oeuvres dignes de mention feront sans doute leur marque, mais on attend encore le vrai coup de coeur.

Jusqu'ici, parmi les favoris pour la Palme d'or, Cold War, un drame romantique campé dans les années d'après-guerre, formidablement mené par le cinéaste polonais Pawel Pawlikowski, lauréat de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2015 grâce à Ida.

Leto (L'été), drame musical russe sur une icône de la scène rock des années 80, a aussi charmé les festivaliers. Kirill Serebrennikov, cinéaste assigné à résidence par les autorités russes, pourrait recevoir un prix, tout comme l'autre cinéaste interdit de sortie de son pays, l'Iranien Jafar Panahi. Son film, Trois visages, est magnifique. On retient aussi le très beau Lazzaro Felice, nouvel opus de la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher.

Des films signés Nadine Labaki, Matteo Garrone et, surtout, Nuri Bilge Ceylan, seul cinéaste déjà lauréat d'une Palme d'or dans cette sélection, seront à leur tour présentés au cours de la semaine.

Un «avant » et un «après» 2018

Alors oui, il y a les films. Mais il y a aussi le reste. Cette année, le festivalier a l'impression que le reste a tout autant, sinon plus d'importance à Cannes. Il y a d'abord ce mouvement pour revendiquer, à juste titre, une approche égalitaire et paritaire pour les femmes dans le milieu du cinéma. Toutes les conversations convergent inévitablement vers ce nouveau paradigme, cette nouvelle prise de conscience. On pourra dire désormais qu'il y aura eu un «avant» et un «après» 2018. Le Festival de Cannes, et aussi les deux sections parallèles qui le composent, ont d'ailleurs été les premiers à signer hier une charte en faveur de la parité femmes-hommes dans les festivals de cinéma. D'autres emboîteront le pas.

Les profonds changements touchent aussi la sélection, moins axée sur les abonnés et les grands noms, ainsi que l'organisation du festival en général. Dans la pratique, la nouvelle règle obligeant les journalistes à voir les films simultanément, ou seulement le lendemain de leur projection officielle, les fait évidemment râler, car leur travail doit souvent être décalé d'une journée. Par exemple, l'un des plus grands événements du festival, la présentation hors concours de The House that Jack Built de Lars Von Trier, a eu lieu hier soir à 22 h 30, mais les journalistes n'ont pas été admis à cette projection officielle, à quelques rares exceptions près. La projection destinée à la presse a plutôt lieu ce matin à 8 h 30. On y sera, bon pied bon oeil!

Photo Anne-Christine POUJOULAT, Agence France-Presse

Le réalisateur Spike Lee (à gauche) a posé avec les acteurs de BlacKkKlansman Adam Driver, Laura Harrier et John David Washington, lors de la première du film au Festival de Cannes, hier soir.