Toujours interdit de cinéma en Iran, Jafar Panahi parvient quand même à exercer son métier comme il l'entend. Son nouveau film, Trois visages, constitue un formidable plaidoyer en faveur de l'art, à travers les parcours de trois actrices de différentes générations. Le cinéaste n'a pu se rendre sur la Croisette, mais son équipe nous a donné de ses nouvelles au cours d'une conférence de presse.

La dernière fois qu'on l'a vu, Jafar Panahi était au volant de sa voiture dans Taxi Téhéran, un film qui, il y a trois ans, lui a valu l'Ours d'or du festival de Berlin.

On pourrait croire qu'un homme condamné à six ans de prison, assigné à résidence, et sous le joug d'une interdiction de cinéma et de sortie du pays de 20 ans, ruerait dans les brancards et serait animé d'un grand sentiment de révolte. Ou serait pris d'une folle angoisse. Pourtant, le cinéaste apparaît souvent souriant dans ses films, un peu débonnaire même, et parvient malgré tout à réaliser de beaux longs métrages.

Trois visages est une autofiction dans laquelle les interprètes conservent leur propre nom. Jafar se retrouve de nouveau au volant de sa voiture, cette fois en compagnie de la célèbre actrice Behnaz Jafari. Cette dernière est très perturbée après avoir reçu une vidéo dans laquelle une apprentie actrice désespérée (Marziyeh Rezaei) orchestre une tentative de suicide, à la suite de nombreux appels restés sans réponse. Mise en scène ou tentative réelle ? L'actrice vedette part faire sa propre enquête et se rend dans le petit village qu'habite la jeune femme, au sein d'une famille où la simple perspective d'exercer un métier de nature artistique est vue comme une hérésie.

La bonne distance

De façon très habile, le récit évoque aussi la présence d'une actrice âgée, qu'on ne verra jamais, dont la glorieuse carrière s'est pratiquement arrêtée le jour où les ayatollahs ont pris le pouvoir et imposé leur loi islamique. Le film n'a pas véritablement de résonance politique, mais cette façon d'aborder la question de la place des artistes dans une société n'a évidemment rien d'anodin. Aussi louera-t-on le sens de la mise en scène d'un cinéaste qui sait toujours garder la bonne distance - des actions au loin jusqu'aux plans très rapprochés - pour mettre en relief l'histoire qu'il raconte. Trois visages est magnifiquement filmé.

À la conférence de presse consacrée au film, tenue hier, un siège a été laissé vacant au centre de la tribune pour souligner l'absence forcée du cinéaste à l'événement.

Les deux actrices principales étaient là, de même que la monteuse et le directeur photo. C'est d'ailleurs grâce à eux que nous avons pu en apprendre un peu plus sur les conditions de travail du cinéaste en Iran, et sur l'état d'esprit qui l'habite.

«Jafar n'a jamais travaillé dans des conditions normales de toute façon, a notamment expliqué Amin Jafari, directeur photo. Étant un artiste, il n'a jamais cherché à faire du cinéma avec l'artillerie lourde, même avant qu'il soit assigné à résidence. Son scénario est très précis, et Jafar cherche des endroits de tournage qui s'accordent avec ce qu'il tient à raconter. Évidemment, il ne fera pas exprès pour choisir des lieux très voyants, mais jamais ses plans de tournage n'ont été perturbés à cause des restrictions qu'on lui impose.»

Les femmes et le cinéma iranien

Au cours de cette conversation, il a aussi été beaucoup question de la place des femmes dans le cinéma iranien, surtout maintenant, à l'ère des mouvements #metoo et Time's Up, dont la résonance se fait entendre sur toute la planète.

«Je dirais que Jafar a toujours été en avance sur cette question. Ses films ont souvent fait écho à la force des femmes. Je dirais même que Jafar a une influence sur la question féminine en Iran, et aussi dans le monde», explique Mastaneh Mohajer, qui a travaillé sur le montage du film.

«Dans ce film, l'actrice plus vieille symbolise la pérennité d'un art qui ne pourra jamais être écarté, la seconde incarne une femme en pleine possession de ses moyens, et la plus jeune évoque une génération qui doit maintenant se battre pour faire entendre sa voix. Jafar leur donne à toutes de l'espoir et de l'énergie», a poursuivi Mme Mohajer, qui a travaillé étroitement avec le cinéaste au montage de Trois visages

Les collaborateurs du cinéaste indiquent que malgré l'interdiction dont il fait l'objet, Jafar Panahi continue de travailler dans des conditions qui, si l'on se fie à ce qu'ils racontent, seraient moins mauvaises qu'elles ne pourraient paraître de prime abord.

«Jafar est très astucieux, précise la monteuse. Si un problème particulier se pose, il trouvera toujours une solution qui servira bien son film. Hier [samedi], nous étions tous tristes d'assister à la projection sans lui, mais une fois la séance commencée, Jafar est devenu très présent. On l'a vu, on l'a entendu, et il y avait là quelque chose de rassurant. Nous avions l'impression qu'il était avec nous.»

Le plus grand drame

Par ailleurs, le plus grand drame que vit Jafar Panahi semble être celui de ne pouvoir offrir ses films à ses compatriotes.

«Son grand espoir est de pouvoir un jour présenter son film en Iran, a ajouté Mme Mohajer. Il est évidemment honoré par l'attention et les prix qu'il reçoit dans les festivals internationaux, mais que les Iraniens puissent voir son film reste son voeu le plus cher. À choisir entre une sélection à Cannes et une sortie de son film à Téhéran, il choisirait sans nul doute une sortie dans son pays.»

Photo Laurent Emmanuel, Agence France-Presse

À la conférence de presse consacrée au film Trois visages, tenue hier, un siège a été laissé vacant au centre de la tribune pour souligner l'absence forcée du cinéaste à l'événement.