À l'occasion de la présentation du film d'Eva Husson, la première des trois réalisatrices à concourir pour la Palme d'or cette année, une montée des marches entièrement réservée aux femmes du cinéma a eu lieu. Ce moment historique a cependant été suivi par un film, Les filles du soleil, qui n'a pas été à la hauteur de l'événement.

Elles étaient 82. Cate Blanchett, présidente du jury, était là, flanquée de ses consoeurs Khadja Nin, Léa Seydoux, Kristen Stewart et Ava DuVernay. Soixante-dix-sept autres femmes de cinéma les ont accompagnées, parmi lesquelles, bien sûr, Agnès Varda, celle qui aura déjà marqué l'histoire du cinéma de son empreinte, à une époque où les réalisatrices se comptaient sur les doigts d'une main.

Le chiffre 82 n'était évidemment pas innocent. Il représentait le nombre de films réalisés par des femmes sélectionnés dans la compétition cannoise en 71 ans d'histoire. En comparaison, 1688 longs métrages réalisés par des hommes ont pu prétendre au laurier suprême depuis 1946. À ce jour, on ne compte toujours qu'une seule réalisatrice lauréate de la Palme d'or. Jane Campion l'avait obtenue en 1993 grâce à The Piano, ex aequo avec Adieu ma concubine, un film de Chen Kaige.

Un appel à la parité

« Allons-y, let's climb ! », a-t-on pu entendre. L'instant fut solennel et historique. Un moment de silence a même été observé en guise de solidarité. Une fois la montée des marches faite, le groupe a tourné le dos au Palais pour faire face à la foule. Agnès Varda, lauréate d'une Palme d'or d'honneur en 2015, et Cate Blanchett ont alors pris le micro pour lire une déclaration.

« Ces statistiques sont indéniables et irréfutables. Les femmes ne constituent pas une minorité dans le monde et pourtant, l'état actuel de notre industrie nous fait croire le contraire. En tant que femmes, nous faisons toutes face à nos propres défis, mais nous nous tenons sur ces marches aujourd'hui pour exprimer notre détermination et notre engagement envers le progrès. Nous sommes scénaristes, productrices, réalisatrices, actrices, directrices photo, agentes artistiques, monteuses, décoratrices, et nous sommes toutes impliquées dans l'art cinématographique. Nous exprimons notre solidarité envers les femmes de toutes les industries. »

« Nous mettons au défi nos gouvernements et nos pouvoirs publics pour appliquer les lois sur l'égalité salariale », a dit Agnès Varda.

Cette action symbolique, unique dans l'histoire du festival, a été organisée à l'initiative du collectif français 50/50 pour 2020, contre les inégalités dans le domaine du cinéma, et de Time's Up, le mouvement américain mis sur pied après l'affaire Weinstein, qu'appuient notamment Cate Blanchett et Ava DuVernay.

Un film pas à la hauteur

Logiquement, cette magnifique initiative a eu lieu lors de la montée des marches consacrée au premier des trois films réalisés par des femmes en lice pour la Palme d'or cette année. Malheureusement, et c'est bien triste à dire, Les filles du soleil, deuxième long métrage d'Eva Husson (après Bang Gang), n'a pas été à la hauteur de l'événement. La séance destinée à la presse, qui a eu lieu en même temps que la projection officielle hier soir, a d'ailleurs été ponctuée de quelques huées, au milieu de salves d'applaudissements polis.

La déception est d'autant plus grande qu'Eva Husson fait directement écho dans son film à un événement de l'histoire aussi méconnu qu'important. Bien que fictif, le récit est inspiré de l'histoire de ces femmes kurdes qui, après que plusieurs d'entre elles eurent été faites captives et esclaves sexuelles des djihadistes, ont entrepris une résistance - en prenant les armes - pour reconquérir le territoire et faire reculer le groupe État islamique, dont les soldats sont convaincus qu'ils sont interdits de paradis s'ils meurent de la main d'une femme.

Le sujet était riche, mais la réalisatrice n'a pas su éviter les pièges qui lui étaient tendus. L'histoire est d'abord racontée par le prisme d'une journaliste française (Emmanuelle Bercot), qui suit le bataillon « Les filles du soleil », mené par la commandante Bahar (Golshifteh Farahani, excellente). Une trame musicale grandiloquente vient souligner à gros traits des éléments déjà très dramatiques. L'ensemble se révèle trop appuyé et neutralise du coup l'émotion que le spectateur devrait ressentir face à l'horreur - bien tangible, bien réelle - dans laquelle ces femmes sont plongées. Autrement dit, on a l'impression que la réalisatrice n'a pas su faire confiance à la force de son propos et s'est sentie obligée d'en rajouter, d'où le discours pontifiant que la journaliste livre pendant que le générique de fin défile. Une approche plus sobre aurait été préférable.

Dommage.

Photo fournie par le festival de cannes

Les filles du soleil, deuxième long métrage d'Eva Husson, n'a pas été à la hauteur de l'événement.