La projection officielle du nouveau film de Jean-Luc Godard (JLG), Le livre d'image, a eu lieu hier sans la présence du cinéaste. Bien que faisant intrinsèquement partie de la mythologie cannoise, JLG n'y a pas mis les pieds depuis ses trois derniers films.

Quand un nouveau film de Jean-Luc Godard est présenté sur la Croisette, la journée n'est absolument pas comme les autres. Encore moins en cette année du 50e anniversaire de Mai 68, où le réalisateur du Mépris était au coeur de la contestation, et - avec François Truffaut - à la tête du mouvement qui réclamait par simple décence l'arrêt du Festival de Cannes, au nom de la solidarité avec les étudiants et les ouvriers en révolte.

Il ne vient plus sur la Croisette depuis longtemps, le Jean-Luc, mais tout porte encore son empreinte ici, tant cet endroit, où il a été à la fois adulé et entartré, évoque des souvenirs liés à sa légende. L'affiche de ce 71e Festival est composée d'une scène tirée de Pierrot le fou, dans laquelle Anna Karina et Jean-Paul Belmondo s'échangent un baiser. Et si les films de JLG attirent désormais des publics confidentiels dans les salles, ils font toujours figure d'événements incontournables au festival. Et les journalistes doivent jouer des coudes pour trouver une place.

DE L'ART CONTEMPORAIN

Le livre d'image est le 14e long métrage de Godard présenté à Cannes, le 6e à concourir pour la Palme d'or. Jusqu'à maintenant, le réalisateur d'À bout de souffle n'a été primé qu'une fois, il y a quatre ans, alors qu'Adieu au langage lui a valu le Prix du jury, attribué ex aequo à Mommy de Xavier Dolan.

Cinquante ans après Mai 68, le dernier survivant de la Nouvelle Vague, aujourd'hui âgé de 87 ans, poursuit une démarche artistique dont la radicalisation a justement commencé dans ces années de révolte.

Depuis maintenant longtemps, ses films relèvent davantage de l'art contemporain que du cinéma, et la démarche semble désormais systématique.

Ses films sont constitués essentiellement d'un montage d'images de toutes natures, ponctué d'un commentaire philosophique ou poétique évoquant l'impasse dans laquelle se trouve le genre humain.

TROUVER SA GRÂCE

Dans le Grand Théâtre Lumière, les effets de montage sonore étaient aussi saisissants. La voix de JLG résonnait de toutes parts, parfois venue d'endroits différents, souvent dans une forme juxtaposée qui rend le discours pratiquement inaudible au spectateur.

Voilà bien le problème. Dans la première partie de son film, Godard abuse de ses commentaires dédoublés, comme s'il tenait à ce que le spectateur ne fasse plus appel à sa raison pour tenter de comprendre son discours, mais qu'il s'abandonne plutôt à une espèce de phénomène hypnotique.

Ponctué d'innombrables images tirées de films (de Vertigo à Salò ou les 120 journées de Sodome), l'essai emprunte ainsi l'allure d'un fouillis total dans sa première partie, mais parvient enfin à trouver sa grâce dans le chapitre consacré au monde arabe. Étrangement, la narration se fait alors plus claire, plus audible, et s'effectue sur des images puissantes, que des bruits d'explosion viennent souvent détruire. Dans ce film qui lui servira peut-être de testament cinématographique, le cinéaste ne se fait guère optimiste sur le sort de notre humanité.

UNE VIDÉOCONFÉRENCE... OU PAS

En principe, Jean-Luc Godard devrait se prêter aujourd'hui à une vidéoconférence par FaceTime, de sa résidence de Rolle, en Suisse, où il vit depuis plus de 40 ans. Souhaitons qu'il ne nous pose pas un lapin du même genre qu'à Agnès Varda, un couac qui, dans l'excellent Visages villages, est devenu un moment fort.

Mais s'il le fait, il n'en sera que plus fidèle à sa légende.