Le 71e Festival de Cannes a été lancé hier avec classe, autant sur le tapis rouge que sur le grand écran. Everybody Knows, huitième long métrage du cinéaste iranien multiprimé Asghar Farhadi, est un drame d'assez belle tenue, magnifié par la présence de trois comédiens d'exception: Penélope Cruz, Javier Bardem et Ricardo Darín.

Le rituel est toujours le même, mais il impressionne à tout coup. Sous les descriptions de l'annonceur Patrick Fabre, les stars défilent pour effectuer la fameuse montée des marches, parfois même au son d'une musique ou d'une chanson dont l'écoute évoque un moment de la carrière d'une célébrité. À cet égard, il était particulièrement émouvant de voir Anna Karina fouler le tapis rouge au son de Sous le soleil exactement, un tube que Serge Gainsbourg a écrit pour elle en 1967. 

Cette égérie de Jean-Luc Godard, rappelons-le, gratifie cette année de sa présence l'affiche du festival, tirée d'une scène de Pierrot le fou, où on la voit soutirer un baiser à Jean-Paul Belmondo, son partenaire de jeu dans ce film classique, tourné en 1965. Cannes est depuis longtemps passé maître dans l'art d'entretenir la mythologie du cinéma.

Tout le gratin était là, bien sûr. De Benicio Del Toro à Isabelle Adjani en passant par Julianne Moore et Suzanne Clément.

L'extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, qui sert de vignette à toutes les projections des films de la sélection officielle, s'est ensuite fait entendre quand les neuf membres du jury ont défilé à leur tour. À première vue, ce jury semble particulièrement bien composé. De beaux esprits et de belles personnes en font partie.

Place ensuite aux invités d'honneur de la soirée. Flanqués du cinéaste iranien Asghar Farhadi et de l'acteur argentin Ricardo Darín, Penélope Cruz et Javier Bardem, le couple le plus glamour du moment, ont fermé la marche.

Sous les auspices du maître de cérémonie Édouard Baer, qui allie à la fois dans ses textes le lyrisme et l'humour pince-sans-rire, la soirée d'ouverture a été marquée par la présentation des membres du jury (Denis Villeneuve a été le premier à fouler la scène du Théâtre Lumière), et les mots qu'a adressés - parfois en français - la présidente Cate Blanchett à la foule: «Bonjour, mesdames, mesdames, mesdames et messieurs», a-t-elle d'ailleurs lancé d'entrée de jeu, évoquant ainsi en un clin d'oeil le thème qui alimente toutes les discussions: les femmes et les métiers du cinéma.

Avec Martin Scorsese, à qui la Quinzaine des réalisateurs rendra hommage aujourd'hui, mademoiselle Blanchett a ensuite déclaré le festival officiellement ouvert.

Un bon niveau

Everybody Knows, premier film de langue autre qu'anglaise ou française à être présenté en ouverture depuis La mauvaise éducation (Pedro Almodóvar) en 2004, a la particularité d'avoir été conçu, écrit et réalisé en Espagne par le cinéaste iranien Asghar Farhadi. Ce dernier, qui a largement fait consensus avec son film Une séparation, transpose cette fois sa méthode dans une autre culture que la sienne, exactement comme il l'avait fait il y a cinq ans en France avec Le passé. C'est d'ailleurs ce qui frappe à première vue: Farhadi semble toujours vouloir explorer les mêmes thèmes, à partir des deux pôles que constituent Une séparation et Le passé.

Même si le récit est campé dans un petit village espagnol, il reste que Farhadi dissèque une fois de plus le thème du couple, au sein duquel un déchirement survient à la suite d'une révélation inattendue, issue du passé.

Vivant en Argentine auprès de son mari (Ricardo Darín), Laura (Penélope Cruz) revient dans son pays natal avec ses deux enfants à l'occasion du mariage de sa plus jeune soeur. Le drame survient quand, au soir de la noce, la fille adolescente de Laura disparaît, et que Paco (Javier Bardem), l'ancien amoureux de Laura, est mis à contribution pour participer aux recherches.

Fidèle à son habitude, Farhadi utilise ce point de départ pour mieux déterrer les choses inavouables que chacun tient en secret. Du coup, l'histoire rebondit sur tous les intervenants de l'histoire, et prend une ampleur insoupçonnée. Le drame intimiste se transforme même en thriller aux accents hitchcockiens.

Pour habile qu'il soit, en plus de l'évidente maîtrise de Farhadi dans l'écriture des dialogues, le schéma paraîtra un peu systématique et répétitif. Cela dit, le cinéaste iranien dispose de pointures exceptionnelles devant sa caméra et personne ne déçoit.

On ne classera pas Everybody Knows dans la frange supérieure du cinéma d'Asghar Farhadi, mais ce film de belle tenue met néanmoins la barre à un bon niveau pour la compétition.

PHOTO LOIC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Anna Karina