Autrefois incontournable, aujourd'hui grand absent: Harvey Weinstein sera dans tous les esprits au 71e Festival de Cannes, placé à partir de mardi sous la bannière #metoo avec un engagement contre le harcèlement sexuel et un jury majoritairement féminin.

Pour autant, sur la Croisette, les professionnels ne redoutent pas d'éventuels effets du scandale qui ébranle la planète depuis l'automne.

«Le festival de Cannes ne sera sans doute plus jamais le même»: en révélant la sélection officielle, mi-avril, Thierry Frémaux, délégué général du festival, n'avait pas éludé le cas Harvey Weinstein, accusé de harcèlement et de viols par une centaine de femmes.

L'actrice française Léa Seydoux, l'une de ses accusatrices, sera au sein même du jury cannois, majoritairement féminin. Un jury présidé par l'actrice australienne Cate Blanchett, engagée dans le combat contre le harcèlement sexuel dans le cinéma avec sa fondation Time's Up.

Les agressions sexuelles reprochées à Weinstein «relèvent d'un comportement impardonnable», avait asséné le festival de Cannes en octobre.

Pour la 71e édition (8-19 mai), ce sera donc «comportement correct exigé»: un flyer distribué aux festivaliers rappellera les peines encourues pour harcèlement sexuel, avec un numéro de téléphone pour toute victime ou témoin et un site internet dédié.

Avec ces mesures, ainsi que des débats organisés sur la place des femmes dans le 7e Art, le festival fait preuve de pragmatisme. Mais pas de mot d'ordre pour la soirée d'ouverture comme aux Golden Globes, où le noir était de rigueur, ou aux Césars, en France, où le signe de ralliement fut un ruban blanc.

L'affaire DSK, avant Weinstein

Si l'affaire Weinstein a ébranlé le cinéma, les acteurs du tourisme cannois n'y voient pour certains qu'une «histoire de journalistes», comme Bruno Draillard, à la tête d'une franchise de huit agences immobilières: «Cela n'a eu aucun impact. Les gens viennent pour faire des affaires, peut-être qu'ils feront juste un peu plus profil bas».

«Beaucoup d'affaires en sommeil sortent enfin», note Sophie Santandrea, à la SEMEC, la Société d'économie mixte pour les événements cannois. Mais, pour elle, «le festival 2018 ressemblera au festival 2017 et ceux d'avant».

Du côté du Marché du film, en parallèle au festival, on estime aussi que l'absence du producteur n'a pas d'impact: «C'est vrai que la Weinstein Company amenait des films souvent de qualité. (...) Il y a d'autres grosses sociétés qui sont tout à fait aussi pertinentes», souligne son patron Jérôme Paillard.

«Le festival du film, c'est avant tout du business», insiste Christine Welter, vice-présidente du syndicat des hôteliers de Cannes. Pour elle, si impact il y a eu, «c'est surtout après l'affaire DSK» et les poursuites contre Dominique Strauss-Kahn, l'ex-directeur général du FMI, pour tentative de viol sur une employée du Sofitel de Manhattan, en 2011, avec une remise à jour des procédures dans les hôtels.

Le comportement de Weinstein était-il connu? «Nous l'avons appris par la presse», assure Alain Lahouti, président de l'Union des métiers de l'hôtellerie dans les Alpes-Maritimes, comme tous les interlocuteurs interrogés à Cannes par l'AFP.

«Massage plutôt qu'essayage»

Au Cap-Eden-Roc, où l'ex-patron de Miramax aurait sévi, on «ne souhaite pas communiquer sur ce sujet». C'est là, le 9 mai 1997, que Harvey Weinstein aurait violé l'actrice italienne Asia Argento, alors âgée de 21 ans. L'une des premières à avoir brisé le silence.

«Quand il y a des problèmes, c'est plutôt pendant l'été, dans certains hôtels ou propriétés privées», avec «le client qui préfère un massage qu'un essayage», témoigne Aline Buffet, à la tête d'une équipe de 20 à 25 couturières.

Pour elle, le seul incident lors du festival, où elle intervient pour les retouches de dernière minute, remonte à «quatre ou cinq ans»: «Il y avait deux stars dans une chambre, et j'avais envoyé deux couturières, un matin assez tôt, vers 8h ou 8h30. Il y avait eu une grosse partouze dans la chambre, et (...) on leur a demandé de se déshabiller... J'ai été voir la production, et ça s'est réglé très rapidement!»

Dans le cas Weinstein, «il y a sans doute eu des débordements» concède Nathalie Di Sotto, plagiste au Bijou à Cannes: «C'était la même chose à l'époque de Marilyn Monroe ou de Brigitte Bardot. Il y a toujours eu cette domination des hommes sur les femmes. Mais c'est devenu un sujet».