C'est la polémique qui n'en finit plus de finir à Cannes. Celle qui concerne Netflix et la non-distribution en salles françaises de deux titres de la compétition, The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach et Okja de Bong Joon-ho.

Vendredi matin, lors de la projection d'Okja, les festivaliers ont hué avec plaisir le géant américain du streaming lorsque son logo est apparu à l'écran au générique d'ouverture. D'autres, en plus petit nombre, ont répondu par des applaudissements.

Après que le président du jury, Pedro Almodóvar, eut déclaré en milieu de semaine qu'il ne concevait pas qu'un film ne prenant pas l'affiche au cinéma puisse remporter la Palme d'or, les dirigeants de Netflix étaient manifestement en mode gestion de crise vendredi, et ont rencontré quelques journalistes triés sur le volet.

Heureusement pour Pedro Almodóvar, la question de la Palme d'or ne risque pas de se poser en ce qui concerne Okja, un film malgré tout charmant et efficace, à l'humour acéré, fait sur mesure pour un public préadolescent. C'est d'ailleurs à se demander, après le film de Todd Haynes, pourquoi le Festival s'entête à présenter en compétition, à un auditoire exclusivement adulte, des oeuvres qui ne lui sont pas destinées...

Sur fond de fable environnementaliste que n'aurait pas reniée Hayao Miyazaki, Okja raconte l'amitié d'une jeune fille pour son cochon surdimensionné, sorte de bibitte à la Histoire sans fin, version animation par ordinateur en 2017. Le « super porc », candidat-vedette d'un concours international soi-disant « sans OGM », est la propriété d'une multinationale, Mirando - à ne pas confondre avec Monsanto -, dirigée par une femme narcissique (Tilda Swinton) aux motivations douteuses.

Récit archétypal de film pour enfants - ça va bien, ça va mal, ça va mieux, ça finit bien... - Okja a l'avantage de ne pas se prendre au sérieux. 

Bong Joon-ho, qui retrouve Tilda Swinton après Snowpiercer, s'amuse à brouiller les genres et à exploiter au mieux des personnages caricaturaux. Plusieurs répliques sont savoureuses, la critique du capitalisme est rafraîchissante (et ironique dans le contexte de la polémique actuelle), mais on reste loin du chef-d'oeuvre.

« Netflix a ses propres règles, a déclaré le cinéaste sud-coréen vendredi en conférence de presse, après avoir été interrogé sur la controverse. Dès le début des négociations, on a voulu que le film soit présenté en salle en Corée et ailleurs. Je suis heureux que le Festival ait accepté de le présenter. Si les deux parties sont ouvertes, ce sera pour le bien de tous. »

Le cinéaste de Mother a tenu à préciser qu'il s'était senti très libre sous la houlette de Netflix. « On m'a beaucoup soutenu, avec un budget important et une liberté totale, a-t-il dit, autant pendant le tournage que pendant l'écriture du scénario. Il n'y a eu aucune intervention [des gens de Netflix]. Ils m'ont vraiment respecté. Je n'ai pas du tout subi de pression pour faire un film classé moins de 13 ans. Je pouvais mettre autant de sang que je voulais ! »

Bong Joon-ho s'est par ailleurs dit heureux que Pedro Almodóvar, dont il est un grand admirateur, puisse voir son film. « Qu'il en dise du bien ou du mal n'a pas d'importance. »

Tilda Swinton, deux fois jurée à Cannes et par ailleurs coproductrice du film, a été tout aussi diplomate. « C'est une déclaration que le président a faite. Il est important qu'il se sente libre de dire ce qu'il pense, croit l'actrice britannique. Nous ne sommes pas venus ici pour des prix. Nous sommes venus présenter notre film aux festivaliers. C'est un grand privilège. La polémique suscite une conversation intéressante. Je crois qu'il y a de la place pour tout le monde. »

Après le juré Will Smith mercredi, l'acteur américain Jake Gyllenhaal a à son tour pris la défense de Netflix. « Ce qui est intéressant, c'est que c'est une plateforme qui peut rejoindre des millions de personnes. C'est un privilège », a-t-il dit. « Soyons francs, a ajouté Tilda Swinton. Il y a des centaines de films à Cannes que les gens ne verront jamais au cinéma. Netflix a donné l'occasion à Bong Joon-ho de présenter sa vision et c'est formidable. »

PAUVRE MIGRANT VOLANT

Le cinéaste hongrois Kornél Mundruczó a été révélé à l'étranger en 2014 par le troublant et sanglant White God, mettant en scène des chiens enragés qui se retournent contre les humains. La lune de Jupiter, son nouveau film présenté en compétition, emprunte une structure semblable, typique du cinéma de genre, sans animaux cette fois. Au coeur de l'intrigue, des réfugiés syriens arrivent clandestinement en Hongrie, où se pratique un trafic encouragé par un médecin (excellent Merab Ninidze) ayant d'importantes dettes. Parmi les migrants, on s'intéresse en particulier à un père et son fils, qui se découvre soudainement des pouvoirs surnaturels : il a la tête de Freddie Prinze Jr. et vole comme Henry Cavill dans Man of Steel. Les références christiques sont nombreuses, la mise en scène est par moments très inventive (même si elle abuse des scènes de lévitation), mais le scénario ne va nulle part, si bien qu'on finit par en rire. Et ce n'est malheureusement pas parce que c'est drôle...