On comprend la volonté du Festival de Cannes de varier les genres, mais on se demande ce qu'un film comme Wonderstruck de Todd Haynes fait en compétition officielle, sinon que son brillant réalisateur est un « habitué de la Croisette » (marque déposée).

Wonderstruck est un film pour enfants, à la manière du Hugo de Martin Scorsese, mais en beaucoup moins maîtrisé. Je n'ai d'ailleurs pas du tout été surpris d'apprendre qu'il avait été scénarisé par l'auteur de Hugo Cabret, Brian Selznick, d'après son propre roman.

Le cinéaste de Far From Heaven et de Carol s'intéresse cette fois-ci aux destins parallèles de deux enfants sourds, un garçon et une fille, qui font des fugues à 50 ans d'intervalle vers New York, en 1927 et 1977. Le scénario est naïf, prévisible et plus qu'improbable. Ce qui s'explique peut-être par la nature du public visé.

Ce que l'on excuse moins à un cinéaste habituellement aussi subtil que Todd Haynes, c'est le ton appuyé de l'ensemble de cette fable, autant dans la musique que dans la multiplication des genres exploités : animation, film muet, film d'époque des années 70.

Même les enfants risquent de s'ennuyer en découvrant l'oeuvre la moins inspirée du réalisateur de I'm Not There depuis Velvet Goldmine

C'est d'ailleurs dans l'évocation de David Bowie et une reconstitution « bluffante » des années 70, comme on dit dans le sud de la France, que ce film trouve son principal intérêt. Et dans le jeu des actrices, que Todd Haynes réussit toujours à inspirer.

Il s'agit de la quatrième collaboration du réalisateur avec la grande Julianne Moore, et la première en 10 ans. « Il est beaucoup plus méchant maintenant ! », a déclaré l'actrice, taquine, en conférence de presse, avant d'ajouter : « Quel privilège de travailler avec un génie. Il n'y a rien à faire dans les films de Todd. Il a tout préparé. Il ne reste qu'à s'immiscer dans son univers. »

Le plaisir est partagé, manifestement. « Julianne est un fil conducteur incroyable dans ma vie, dit Todd Haynes. Elle est mon âme soeur dans la création. » Ils ont parfois connu l'état de grâce. Pas cette fois-ci.

MÉLANCOLIE RUSSE

En 2014, le cinéaste russe Andrey Zvyagintsev avait présenté un très grand film en compétition cannoise, Leviathan (Prix du scénario). Son film précédent, Elena, était fait de la même fine dentelle. Les attentes étaient donc grandes pour ce Nelyobov (Faute d'amour), dont l'intrigue s'articule, à l'instar de Wonderstruck, autour de la fugue d'un enfant de 12 ans. Peut-être trop grandes...

Nelyobov est sans conteste un magnifique film formel : plusieurs scènes sont filmées à travers le filtre de vitres et fenêtres, changent subtilement de teintes de gris et baignent dans une lumière naturelle mélancolique. Mais l'histoire de ce couple qui se délite et d'un enfant qui ne se sent pas aimé traîne en longueur dans la répétition en boucle des recherches pour retrouver le fugueur.

Le récit n'a sans doute pas la force d'évocation et la richesse de la critique sociale de la Russie moderne de Leviathan, mais la même justesse de ton, la même subtilité dans le jeu et la même acuité du regard porté sur la société russe. Dans l'ennui, la mélancolie, et la vacuité des selfies de nouveaux riches de la Russie de Poutine, Zvyagintsev perce une brèche fascinante. C'est la marque des grands cinéastes.