Faire d'un être «odieux» un personnage «émouvant et drôle»: c'est ainsi que la romancière et ex-épouse de Jean-Luc Godard, Anne Wiazemsky, salue Le redoutable, film consacré au cinéaste de légende, l'un des plus attendus du Festival de Cannes.

«J'ai vu le film et j'adorerais le revoir car je suis en même temps la meilleure et la pire des spectatrices», confie à l'AFP l'actrice de La chinoise, l'une des rares à avoir vu le film de Michel Hazanavicius (The Artist).

Le scénario est inspiré d'Un an après (Gallimard), roman de cette petite-fille du célèbre écrivain français François Mauriac, qui épousa Godard en juillet 1967.

Révélée par Au hasard Balthazar de Robert Bresson, la jolie rousse au visage mutin a 20 ans. Son époux, phare de la Nouvelle-Vague et déjà connu mondialement, a 17 ans de plus.

La déferlante de mai 68 aura raison de leur amour et ouvrira une crise chez le réalisateur qui renie ses films (Pierrot le fou, Le mépris), rompt avec le système du cinéma et nombre de ses amis. Souvent violemment. Le tout dans un style radical, parfois émaillé d'épisodes cocasses.

Hazanavicius «a compris quelque chose de très profond chez Jean-Luc. Et d'une tragédie, il a fait une comédie». «Il a compris la crise qu'il traversait et dont personne, à commencer par moi, n'a mesuré les conséquences».

À cette époque, «plus ça avance, plus nos chemins se séparent. Moi qui venais de l'université, j'allais de plus en plus vers le cinéma. Et lui, qui venait du cinéma, s'en éloignait de plus en plus. Et je crois que le film le rend très bien, le rend de manière comique», ajoute la romancière.

«Ressemblance hallucinante»

Elle a été plus que convaincue par l'interprétation de l'acteur Louis Garrel. Elle l'a connu à sa naissance: Anne Wiazemsky a en effet tourné deux films avec son père, Philippe Garrel.

Elle se souvient encore de la découverte de son premier film, Marie pour mémoire, en compagnie de Godard. «Il y a Garrel maintenant, je n'ai plus à faire de films», fut à l'époque le seul commentaire de Godard.

«J'ai été hypnotisée par la ressemblance hallucinante entre Louis Garrel et Jean-Luc. Il parle comme lui. Comment il a piqué ce phrasé, je ne sais pas, c'est le travail de l'acteur».

«Le metteur en scène et l'acteur ont réussi à faire que ce personnage odieux, dans des discours grotesques, soit émouvant et drôle», ajoute-t-elle.

Le rôle d'Anne a été confié à la jeune franco-britannique Stacy Martin (Nymphomaniac).

«J'étais plus dessalée que le personnage dans le film. J'avais déjà tourné. Je venais de ce milieu. Il me semble que la jeune fille est plus jeune et plus naïve», confie Anne Wiazemsky.

Godard, retiré en Suisse, n'est pas attendu sur la Croisette.

«Je ne sais rien de lui depuis très longtemps. Je sais qu'Hazanavicius, par prudence, ne lui a pas envoyé de DVD.»

Contactée par le réalisateur pour une adaptation de son roman, la romancière, partie au rendez-vous avec l'intention de refuser, s'est vite laissée convaincre.

«J'étais intéressée de rencontrer quelqu'un dont j'aimais les films. Je pensais que ce n'était pas faisable, qu'on ne pouvait pas réincarner des personnes réelles, tourner mai 68 (...). Et puis, la façon dont il en a parlé, c'était oui», raconte-t-elle.

Le piquant de la situation - la présentation du film au Festival de Cannes - fait sourire Anne Wiazemsky. Godard a mené la fronde, avec Truffaut, en 1968 contre le Festival, il a été sélectionné à plusieurs reprises (Sauve qui peut la vie, Détective) mais n'est pas venu chercher son Prix du jury en 2014 pour Adieu au langage.

«Je trouve qu'il y a plein de fils qui se croisent, tous très romanesques dans le fait que ça aboutisse à un film et que le film aille à Cannes. Et que ce soit Louis qui incarne Jean-Luc...».