Présenté hier en primeur mondiale à la Quinzaine des réalisateurs, Two Lovers and a Bear, un beau drame romantique campé dans le Grand Nord, a obtenu un accueil chaleureux, à défaut d'être triomphal.

Contrairement aux films de la sélection officielle du Festival de Cannes, les oeuvres choisies par la Quinzaine des réalisateurs, l'une des deux sections parallèles de la manifestation cannoise, sont présentées dans des salles où le grand public est aussi admis. Dès 8h hier matin, les spectateurs - parmi lesquels des Québécois - ont rempli la grande salle du Théâtre Croisette pour assister à la toute première présentation du nouveau film de Kim Nguyen. Ils lui ont d'ailleurs réservé un accueil chaleureux, mais, étrangement, un peu moins enthousiaste que celui qu'ils avaient accordé dimanche à Mean Dreams, une série B plutôt convenue. Allez comprendre.

Un drame romantique

Two Lovers and a Bear est en effet une véritable oeuvre cinématographique, qui emprunte ici la forme d'un drame romantique se déployant dans un environnement inédit. Comme un film de glace et de feu dans lequel les destins des protagonistes ressemblent à ceux de personnages de grandes tragédies.

Tatiana Maslany et Dane DeHaan, tous deux excellents, incarnent Lucy et Roman. Ces deux êtres vivent dans un petit village dans l'Arctique. Leur amour est très vibrant, mais des drames survenus dans le passé les forcent à traîner un bagage plutôt lourd.

Pour évoquer la nature particulière de cette relation, sorte de mise en abyme du sentiment amoureux et de sa propriété curative, le cinéaste n'hésite pas à plonger dans des éléments de réalisme magique. Cette approche fonctionne très bien, d'autant que le décor naturel servant de cadre au récit s'y prête magnifiquement. À cet égard, il convient de souligner le travail remarquable de Nicolas Bolduc à la direction photo. Sur le plan narratif, Nguyen arrive aussi à surprendre en entraînant le spectateur dans des zones plus inattendues.

En répondant à la question d'une spectatrice lors d'un échange avec le public après la projection, le cinéaste a révélé qu'il avait dû se remettre à l'ouvrage au moins 18 fois pour écrire le dénouement de l'intrigue. Que nous ne pouvons évidemment pas révéler ici.



Un écho pudique

L'une des réussites du cinéaste est sans aucun doute d'avoir su évoquer la réalité, parfois très dure, dans laquelle sont plongées les communautés inuites, sans toutefois l'aborder de front.

«N'étant pas moi-même issu de cette communauté ni des Premières Nations, je trouvais délicat de faire écho à une réalité que je ne vis pas moi-même directement, a confié le cinéaste en entrevue. Nos collaborateurs du Nunavut ont été formidables. Leur environnement est tellement hostile qu'ils peuvent tout anticiper et savent prévoir tous les dangers. Et puis, j'aimais bien que les personnages d'autorité dans le film soient joués par des Inuits.»

Le fait que Roman soit un Blanc et Lucy, une métisse correspond aussi tout à fait à la nature du récit.

«Plusieurs Blancs se sont installés là-bas pour se refaire une santé et se reconstruire une vie après avoir vécu des drames, ajoute-t-il. Comme s'ils voulaient faire table rase de tout ce qu'ils ont vécu avant et recommencer dans un endroit le plus éloigné possible.»

Finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère en 2013, grâce à Rebelle, Kim Nguyen a inséré une scène dans laquelle la communauté inuite, comme partout en Amérique du Nord, regarde la retransmission du grand bal hollywoodien à la télévision.

«Ce n'est pas véritablement un clin d'oeil, mais je voulais montrer à quel point la mondialisation atteint tous les coins de la planète, souligne le cinéaste. Honnêtement, il aurait été plus logique de montrer une partie du Canadien - ces gens aiment aussi beaucoup le hockey -, mais les droits étaient tellement chers qu'il était impossible pour nous de les acheter. Comme je suis maintenant membre de l'Académie des Oscars, j'ai pu obtenir assez facilement les droits de cette scène et aussi la permission de George Clooney, qui figure dans la séquence!»

Le mythe cannois



Sélectionné pour la toute première fois au Festival de Cannes, Kim Nguyen a facilement su trouver ses marques sur la Croisette.

«Au début, j'étais très fébrile, dit-il. Le mythe cannois est tellement grand que tu ne sais pas à quoi t'attendre. Cela dit, j'avais déjà cinq films derrière moi, dont Rebelle. J'ai pu trouver ma zone de confort assez rapidement. Et puis, la Quinzaine, c'est très bien. Il y a moins de pression ici qu'en compétition.»

De son côté, le producteur Roger Frappier indiquait que, sans avoir encore conclu d'entente de distribution avec la France ou les États-Unis, les négociations allaient bon train.

«Les acheteurs sont plus prudents, car le marché est en profonde transformation, explique-t-il. Des joueurs comme Amazon et Netflix changent la donne, car ils font disparaître les zones géographiques. Personne ne sait dans quelle direction tout cela s'en va. Plusieurs distributeurs sont intéressés par Two Lovers and a Bear, mais je tiens à choisir ceux qui serviront ce film au mieux. Personnellement, je préfère vendre le film aux distributeurs de chaque pays, mais si une entreprise comme Amazon ou Netflix dépose une offre englobant 45 territoires en même temps, c'est certain qu'on y réfléchit.»

Au Québec, Two Lovers and a Bear prendra l'affiche cet automne.

Photo fournie par Téléfilm Canada

Les réalisateurs canadiens Nathan Morlando, Xavier Dolan et Kim Nguyen réunis à Cannes.