Obsédé par sa propre légende, égoïste, suffisant, parfois presque cruel: l'icône de la gauche sud-américaine Pablo Neruda tombe de son piédestal dans le dernier film du chilien Pablo Larrain, road movie irrévérencieux présenté à Cannes.

Avec Neruda, applaudi à la Quinzaine des réalisateurs, Pablo Larrain (No, Santiago 73, post mortem) se concentre sur un aspect de sa vie: l'interdiction en 1948 du parti communiste chilien, dont il est un sénateur, puis sa fuite à travers la Cordillère des Andes.

Un épisode épique passé à la postérité lorsque Pablo Neruda le racontera en recevant le prix Nobel de Littérature en 1971.

Rien n'est épargné à la mémoire de l'homme mort en 1973 dans des circonstances toujours mystérieuses: dès le début du 6e film du réalisateur chilien, il navigue nonchalamment de soirées décadentes en bordels, alors que les membres de son parti sont traqués par la police du dictateur argentin Videla.

Pablo Neruda (interprété par le Chilien Luis Gnecco, à la ressemblance frappante) pèse le pour et le contre, puis, s'imaginant un destin romantique de héros traqué à travers son pays, entre dans la clandestinité. S'ensuivra un mélange de road movie et d'enquête policière à travers le Chili.

Aux trousses du poète: l'inspecteur Peluchonneau (Gael Garcia Bernal), «moitié abruti, moitié con», selon les mots de l'un des paysans de la Cordillère des Andes, dont le film capture les panoramas grandioses et enneigés.

Faux biopic

Le film (1h48) est une «sorte de faux biopic», précise Pablo Larrain. «Nous n'avons pas essayé de reconstituer tout ce que fut Neruda, mais ce que son image suscite chez nous (...) C'est plus un film «à la Neruda» qu'un film sur Neruda.»

Après une première partie rythmée par des situations et des dialogues souvent cocasses, le film se tourne davantage vers l'introspection et la littérature.

Pablo Lorrain n'est pas le premier à s'attaquer, au cinéma, à l'une des mille vies de l'auteur de Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée, enfant orphelin de mère, militant politique, diplomate, écrivain reconnu...

Le facteur du Britannique Michael Radford, sur l'amitié entre un jeune postier et le poète, avait été un succès mondial en 1994. Dix ans plus tard, un autre cinéaste chilien, Manuel Basoalto, avait lui aussi consacré un film, également intitulé Neruda, à l'épisode de vie clandestine du poète.

Le mystère qui persiste autour de sa mort à 69 ans, aurait de quoi, lui aussi, fournir matière à scénario: un rapport officiel l'attribue au cancer de la prostate dont il souffrait, tandis que ses proches se disent persuadés qu'il a été assassiné par le régime de Pinochet, empoisonné par une injection.

Fin avril dernier, ses restes, après avoir été exhumés en 2013, ont été à nouveau inhumés dans la cité balnéaire d'Isla Negra. Les résultats d'ultimes analyses sont attendus en mai.