Une famille du Nord qui se livre au cannibalisme, des bourgeois dégénérés interprétés par Fabrice Luchini, Juliette Binoche et Valeria Bruni Tedeschi: avec Ma loute, en compétition vendredi à Cannes, le cinéaste radical Bruno Dumont poursuit dans la veine burlesque de sa série P'tit Quinquin.

En 1910 dans la baie de la Slack, dans le nord de la France, des policiers aux allures de Laurel et Hardy enquêtent sur de mystérieuses disparitions.

Non loin de là, dans leur villa surplombant la baie, une famille de grands bourgeois décadents de Tourcoing, les Van Peteghem, interprétés par Fabrice Luchini, Valeria Bruni Tedeschi et Juliette Binoche, sont en villégiature, croisant une famille de pêcheurs aux moeurs étranges. Une idylle va se nouer entre le fils des pêcheurs, Ma loute, et Billie de la famille Van Peteghem.

Prenant prétexte de l'enquête policière, Bruno Dumont déroule dans ce film, qui sort également en salles vendredi, le fil d'une histoire qui oscille entre réel et loufoquerie, histoire d'amour et fantaisie.

«J'ai voulu raconter une histoire de dingues, avec néanmoins une histoire d'amour, une histoire policière, une histoire cruelle, une histoire merveilleuse, dont j'ai voulu mélanger toutes les couleurs», a expliqué le cinéaste du Nord lors d'une conférence de presse.

Soignant particulièrement l'image - qu'il a voulue à la fois «inspirée par des photos du début du siècle» pour donner «un petit lavis» et «hyper réaliste, notamment dans les gros plans des acteurs» -, Bruno Dumont force le trait pour nous présenter des personnages archétypaux qu'il définit lui-même comme «des caricatures».

«Accepter la caricature»

Pour la première fois dans un film de Bruno Dumont, la bouche tordue, la diction transformée, le dos courbé et la démarche chaloupée à la Aldo Maccione, Fabrice Luchini étonne dans le rôle d'André Van Peteghem, loin de son registre habituel.

«Il ne faut pas essayer de comprendre avec Dumont. Il a beaucoup parlé de composition, c'est un terme que je ne connais pas bien. Et grâce à son opiniâtreté, à sa chaleur bizarre au début, c'est lui qui fabrique à travers toi ce qu'il a envie de faire et toi tu obéis», a expliqué l'acteur lors de la conférence de presse.

«Il n'offre pas du tout de vraisemblance psychologique. Il aime une outrance. C'est à nous d'essayer de défendre cette outrance, d'accepter la caricature en la nourrissant un peu d'une composante de vraisemblable», a-t-il ajouté, ironisant sur une scène d'apéritif du film où son personnage propose de servir «un doigt de whi-se-ky» et s'exclame de façon grotesque «apéri-apéri-apéritif».

Juliette Binoche, qui avait déjà joué avec Bruno Dumont dans Camille Claudel 1915, compose une grande bourgeoise exaltée aux allures de diva, chantant de l'opéra, roulant les yeux et jetant la tête en arrière, tandis que Valeria Bruni Tedeschi est plus sobre dans le rôle de l'épouse corsetée d'André Van Peteghem.

Après P'tit Quinquin, série policière déjantée présentée à Cannes il y a deux ans (dans la section parallèle de la Quinzaine des réalisateurs), le réalisateur de La vie de Jésus poursuit avec Ma loute le virage comique de son oeuvre, mais avec sans doute moins de rythme et d'efficacité, jouant cette fois notamment sur l'opposition entre les riches, interprétés par des comédiens célèbres, et les pauvres, joués par des inconnus du Nord.

«Il y avait depuis longtemps une envie de me cloisonner dans le drame. Là, j'ai ouvert une vanne et le comique est juste à côté», résume le réalisateur de 58 ans, soulignant avoir mis aussi dans son film quelque chose des carnavals du Nord.

«C'est quelque chose d'important, et qui va chercher sous le masque, sous le grossissement, quelque chose de très fin, de très social et qui nous purge».