Après Money Monster sur les dérives de la finance, le Britannique Ken Loach a secoué la Croisette vendredi avec une rage intacte, à 80 ans, contre la casse du système social vue par les yeux d'un chômeur.

«C'est une situation choquante car ce n'est pas un problème uniquement dans mon pays mais dans toute l'Europe», a lancé le réalisateur lors de la conférence de presse consacrée au film où il a été très applaudi.

«Ce sont les gens les plus vulnérables qui ont le plus souffert de la baisse des allocations (...) et on leur dit que s'ils sont pauvres, c'est de leur faute», a-t-il accusé. Plaidant pour l'émergence d'«une vraie gauche en Europe qui écoute les gens», il a dénoncé le projet «néolibéral» de l'Union européenne.

Fidèles à leur méthode, le cinéaste «rebelle», qui a tourné plus d'une trentaine de films, et son scénariste Paul Laverty se sont rendus sur le terrain pour recueillir des témoignages. Ceux de travailleurs précaires et de laissés-pour-compte qui doivent parfois choisir entre manger et se chauffer dans un pays où les banques alimentaires et les soupes populaires sont de plus en plus fréquentés.

C'est de cette matière vivante qu'a surgi leur personnage de Daniel Blake, menuisier de 59 ans, bon ouvrier mais contraint d'arrêter de travailler après une crise cardiaque.

Situé à Newcastle, ville marquée par une longue tradition de lutte ouvrière, I, Daniel Blake suit le parcours kafkaïen de Dan entre convocations à l'agence pour l'emploi, questionnaire sans fin sur sa santé, musique d'attente stupide qu'il doit écouter sans cesse avant qu'on ne lui réponde. Sans oublier les ateliers de formation au CV, obligatoires sous peine de réduction de son allocation.

La descente aux enfers du héros de Loach connaît quelques rares moments de solidarité avec un jeune voisin noir et surtout une jeune mère célibataire et ses deux enfants, elle aussi broyée par le système et jouée avec beaucoup de justesse par une comédienne inconnue (Hayley Squires).

«Colère et humanité»

Mais la chute de Dan, magistralement interprété par un acteur de théâtre et de «stand-up», Dave Johns, est inéluctable. Pourtant, le «citoyen» Daniel Blake ne réclamait que ses droits «ni plus, ni moins» après une vie passée à travailler.

Pour Ken Loach, les agences Pôle Emploi n'ont pas pour but «d'aider les gens mais d'ériger des obstacles sur leur chemin». Pire, on fixe à leurs conseillers «des objectifs chiffrés de gens à pénaliser», afin de réduire les allocations versées. Et on les forme à «gérer de potentiels suicides», s'est-il indigné devant la presse.

Habitué de la Croisette, Ken Loach a retrouvé une rage intacte pour ce 19e film présenté à Cannes, qui renoue avec sa veine sociale après notamment sa Palme d'or en 2006 pour Le vent se lève, chronique de la guerre d'indépendance d'Irlande.

Ken Loach, qui aura 80 ans en juin, avait pourtant laissé entendre que Jimmy's Hall (2014), toujours consacré à l'Irlande, serait son dernier long métrage.

Bien lui en a pris, car cette dernière oeuvre au noir a été accueillie en projection de presse avec beaucoup d'émotion dans un silence pesant et quelques larmes écrasées.

L'Independent britannique a salué un réalisateur qui n'a rien perdu de son talent «pour raconter des histoires de personnes marginalisées avec finesse, colère et humanité». Quant à l'américain Variety il a évoqué un «drame social rare qui touche l'âme».

I, Daniel Blake sera-t-il le dernier film de Ken Loach? «Je ne sais pas ce que je vais faire», s'est contenté de répondre le réalisateur, qui est apparu en pleine forme avant de fouler le tapis rouge vendredi soir avec toute son équipe.