Dans Valley of Love, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu incarnent deux êtres qui, à la demande de leur fils disparu, se retrouvent après 30 ans d'absence pour un périple aux accents particuliers. Rencontre au sommet de deux icônes.

Compte tenu du fait qu'ils enchaînent les tournages l'un et l'autre depuis quelques décennies, il est vraiment étonnant que les destins professionnels d'Isabelle Huppert et de Gérard Depardieu ne se soient jamais recroisés en 35 ans. Figures incontournables du cinéma français et international, les deux interprètes de Loulou, un film de Maurice Pialat tourné en 1980, se retrouvent aujourd'hui devant la caméra de Guillaume Nicloux (L'enlèvement de Michel Houellebecq) grâce à Valley of Love, un film sur la pérennité de l'amour et le rapport au deuil. Et c'est très émouvant.

Présenté en compétition officielle hier, ce long métrage est né d'une expérience singulière qu'a vécue Guillaume Nicloux lui-même au cours d'un voyage dans la vallée de la Mort en 2012. Au point où, dès son retour en France, le cinéaste s'est mis à l'écriture du scénario d'un film dont l'action est située dans le désert californien, là où fut déjà enregistrée la température la plus chaude de la planète.

Trois personnages

Ce lieu, très impressionnant, constitue ici un personnage à part entière. C'est l'endroit qu'a choisi Michael pour forcer ses parents, qui ne se sont pas vus depuis 30 ans, à se réunir. Isabelle et Gérard (les personnages gardent les prénoms des acteurs) ont chacun reçu une lettre de leur fils, après son suicide six mois plus tôt. Ce dernier les invite à se rendre dans la vallée de la Mort et à suivre à la trace l'itinéraire qui leur est proposé.

«J'ai le sentiment d'avoir été un peu plus sincère avec moi-même cette fois, a déclaré le cinéaste au cours d'une conférence de presse tenue au Palais des festivals. Auparavant, j'avais tendance à aborder ces thèmes à travers un cinéma de genre», a ajouté celui à qui l'on doit notamment L'affaire privée et La religieuse (avec, déjà, Isabelle Huppert).

Le récit, souvent teinté d'humour (malgré la gravité du sujet), s'attarde à décrire comment deux êtres qui se sont déjà aimés mais qui ne se sont pas revus depuis très longtemps, peuvent affronter ensemble la pire tragédie qui soit: la perte d'un enfant. À cet égard, le point de départ rappelle un peu celui de Chorus, magnifique film de François Delisle, mais l'approche se révèle quand même ici différente. Nicloux ajoute notamment une part un peu surnaturelle à son récit.

Les acteurs, qui en sont maintenant rendus à cette étape où ils peuvent se permettre de complètement lâcher prise en tant que comédiens, amènent de véritables accents d'authenticité. Et de fragilité aussi. Particulièrement Depardieu. Dont le jeu, d'une extrême finesse, fait contraste avec la généreuse enveloppe corporelle. L'acteur offre ainsi son corps opulent en pâture à la caméra, comme pour témoigner d'un parcours complètement différent de celui qu'a fait son ancienne amoureuse. Aucune complaisance à la Welcome to New York dans le regard du cinéaste, cela dit.

«Ce scénario m'a beaucoup interpellé, a expliqué Gérard Depardieu. J'ai été émerveillé par la petite tonalité fantastique qui se fait entendre dans cette histoire. Et tout ce qu'elle peut ramener en nous. Ce film, c'est comme une lecture sur des questions essentielles dont nous avons oublié de nous souvenir.»

Pas la «vraie vie»

À l'évidence, il serait difficile de ne pas tracer de parallèles entre le cinéma et la «vraie vie». Le personnage se prénomme Gérard. Il exerce le métier de comédien et son fils est mort. De là à penser que la disparition de Guillaume, le propre fils de Gérard Depardieu, a servi d'inspiration, il y a un pas que l'acteur préfère ne pas franchir.

«Je ne saurais pas faire ça, fait-il remarquer. En revanche, je peux très bien me mettre dans la peau de ces personnages et comprendre leurs deuils. Je n'ai pas besoin de faire appel à mes souvenirs personnels pour ça. Simplement le fait qu'Isabelle et Gérard s'étreignent - ce qu'ils n'ont pas fait depuis 30 ans - raconte déjà quelque chose d'important à propos de leur histoire.»

Les conférences de presse étant courues par la presse internationale, l'acteur a aussi été interrogé sur ses accointances avec Vladimir Poutine et la Russie.

«J'aime bien Poutine, dit-il. Et je vais beaucoup en URSS.»

Riant de son lapsus, l'acteur a ensuite expliqué être évidemment choqué par tout ce qui se passe en Ukraine en ce moment. «Je n'aime pas les conflits. J'aime l'Ukraine et le peuple ukrainien. J'y suis allé souvent. Je n'ai pas la prétention de bien connaître les enjeux de ce conflit et je ne suis pas un porte-parole. C'est très difficile de juger.»

Retrouvailles faciles

Au dire des deux acteurs, les retrouvailles se sont faites aisément entre eux. Même si leur approche est très différente.

«Je me suis arrangé pour faire ce métier parce que je ne voulais pas travailler! a lancé Depardieu. Je deviens, donc, le premier spectateur des gens de talent qui m'entourent. Quand on regarde Isabelle, on voit bien entendu évoluer une femme de très grand talent!»

Michel Franco de retour avec Chronic

Michel Franco s'est avantageusement fait remarquer sur la scène internationale il y a trois ans grâce à Después de Lucía, lauréat du prix Un certain regard. C'était d'ailleurs l'année où Laurence Anyways, de Xavier Dolan, a été présenté dans la même catégorie.

Le cinéaste mexicain est de retour, cette fois en compétition officielle, avec Chronic, un film de langue anglaise dans lequel on suit le parcours d'un infirmier accompagnant à domicile des patients en fin de vie.

Tim Roth, qui, dit-on, a suivi une vraie formation pour travailler auprès de véritables malades, offre une magnifique composition. Crédible de bout en bout, souvent entouré de non professionnels, l'acteur est en mesure de moduler son jeu en honorant la volonté de réalisme qu'exprime le cinéaste dans sa mise en scène.

À cet égard, on ne pourrait faire plus dépouillé. Aucun artifice ne vient ponctuer ce film essentiellement constitué de plans fixes. On verra ainsi le protagoniste s'occuper de ses patients avec un respect infini, habité d'une véritable vocation. Un lien tangible se noue. Parfois, les proches s'en inquiètent.

Chronic fait écho à la dépression qui, pourtant, afflige l'infirmier dès qu'il se retrouve dans la sphère privée de sa vie. Aussi cet homme repousse-t-il parfois les limites du code d'éthique en insistant pour faire des quarts supplémentaires auprès de ses patients. Et les divertir. D'une certaine façon, le cinéaste dénonce le caractère infantilisant dans lequel se retrouvent bien souvent des adultes qui, à cause de leur état, doivent dépendre des autres. Qu'ils soient proches ou non.

Fort intéressant

Le cinéaste n'hésitera pas non plus à instaurer parfois un climat plus ambigu, histoire de semer le doute dans l'esprit du spectateur. Tim Roth joue d'ailleurs à fond la carte du mystère. Des indices du passé se dévoilent parfois. Et finissent par construire un personnage fort intéressant.

Le dénouement de cette histoire, aussi surprenant qu'inattendu, est par ailleurs percutant.

La possibilité d'une mention au palmarès est bien réelle.