À l'instar de Far from HeavenCarol est un mélodrame flamboyant construit autour des amours clandestines entre deux femmes dans l'Amérique du début des années 50. Le film a suscité des applaudissements nourris.

Cate Blanchett est une actrice d'exception. Même si nous le savions tous déjà, elle le prouve encore une fois dans Carol, le nouveau film de Todd Haynes, qu'elle retrouve après avoir tourné l'étonnant I'm Not There il y a huit ans. Un simple geste discret suffit à l'actrice pour traduire l'essence d'un personnage. Un regard lancé furtivement en révélera toute la fragilité. Et le fera passer de l'élégance assurée à l'angoisse la plus totale avec, toujours, une justesse de ton stupéfiante.

Dans Carol, Cate Blanchett prête ses traits à celle dont le prénom est aussi le titre du film. Il s'agit d'une femme mariée, mère d'un enfant. Dans le carcan social du début des années 50, cette « maîtresse de maison » ne peut révéler sa véritable orientation sexuelle, mais son comportement « immoral » aura tôt fait d'éveiller quand même les soupçons de son mari (Kyle Chandler). Le destin bascule le jour où, dans un magasin, une jeune vendeuse (Rooney Mara) la remarque. Et en tombe amoureuse.

UN MÉLO CLASSIQUE

Ce drame lesbien est l'adaptation de The Price of Salt, un roman que l'écrivaine Patricia Highsmith a publié sous le pseudonyme Claire Morgan dans les années 50. D'une part, le ton de cette histoire, à caractère intimiste, jurait avec celui qu'elle empruntait dans ses romans noirs. De surcroît, ce récit avait la particularité de décrire une histoire d'amour entre deux femmes, sans aboutir sur un dénouement tragique. En ces temps-là, proposer une vision moins négative de l'homosexualité constituait pratiquement un geste subversif. Aussi le roman a-t-il connu un écho au sein des cercles lesbiens de l'époque.

On ne s'étonnera guère que Todd Haynes ait voulu porter cette histoire à l'écran. En empruntant la forme d'un mélodrame classique, l'hériter du cinéma de Douglas Sirk peut ainsi magnifier l'époque qu'il décrit sur le plan de la direction artistique. Il offre ainsi un film qui s'inscrira dans la parfaite continuité de Far from Heaven, tourné il y a 13 ans.

En résulte un drame magnifique, d'une grande maîtrise, dans lequel les deux actrices, Cate Blanchett et Rooney Mara, livrent de magnifiques performances. Le jury pourrait d'ailleurs très bien contempler la possibilité de leur donner conjointement un prix d'interprétation. À la sortie de la toute première projection, destinée à la presse, le mot « Oscar » revenait souvent dans les conversations de nos confrères américains.

« Un rôle comme celui-là est un cadeau, a déclaré dimanche Cate Blanchett au cours d'une conférence de presse tenue au Palais des festivals avant la projection officielle. Plus riches et plus diversifiées sont les histoires, mieux ce sera! »

Carol étant l'un des rares films hollywoodiens abordant le thème de l'homosexualité féminine, il fut bien entendu question de la faible représentation de liaisons lesbiennes dans le cinéma américain.

« Je crois que cela a à voir avec le fait que Hollywood vise surtout un public masculin », a avancé le cinéaste.

UNE SCÈNE D'AMOUR

De son côté, Cate Blanchett déplore qu'en 2015, il y ait encore une connotation politique à l'orientation sexuelle.

« À l'époque de Carol, la sexualité relevait de la sphère privée, a-t-elle fait remarquer. Aujourd'hui, les homosexuels sont pratiquement obligés d'en parler constamment. Et ça prend le pas sur tout le reste. Notre époque est profondément conservatrice. »

Ce à quoi la scénariste Phyllis Nagy, qui s'est battue pendant 14 ans pour faire aboutir ce projet, a ajouté que depuis l'époque où Patricia Highsmith a écrit son roman, « rien n'a changé et tout a changé ». « Le simple fait que ce film existe indique que les discussions nécessaires peuvent avoir lieu. On attend des gais et lesbiennes qu'ils fassent de leur orientation l'élément principal de leur vie, mais dans les faits, l'élément principal de votre vie est justement votre identité. Nous n'avons simplement pas encore l'habitude de voir ça dans les films. »

Par ailleurs, Carol est ponctué d'une scène d'amour. Les deux actrices n'ont hésité d'aucune façon à la jouer.

« Tourner une scène d'amour avec une autre actrice n'a rien de différent qu'avec un homme, a souligné Cate Blanchett. D'autant que cette scène est essentielle au film. Elle n'est pas là du tout pour aguicher. Bien sûr, on appréhende toujours un peu le tournage d'une scène comme celle-là, mais ça n'a rien à voir avec le fait que la partenaire est une femme. »

_____________________

Carol prendra l'affiche en Amérique du Nord au mois de décembre.