Les cinéastes Philippe David Gagné et Jean-Marc E. Roy sont partis vendredi à Cannes avec leur court métrage Bleu Tonnerre, qui sera présenté à la Quinzaine des réalisateurs, section parallèle du plus célèbre festival de cinéma au monde. Or, à les écouter parler de leur travail, on constate aisément que ce dont ils sont le plus fiers, c'est d'avoir réalisé un film fortement teinté par la culture, l'environnement et la musicalité de leur région : le Saguenay.

Dany Placard sur grand écran

On a l'habitude de voir l'auteur-compositeur-interprète Dany Placard sur scène nous chanter ses airs de folk. Or, le voilà incarnant le personnage principal de Bruno dans le court métrage Bleu Tonnerre, singulière comédie dramatique musicale et chantée.

Et Placard s'en tire très bien. Entouré des comédiens Isabelle Blais, Sandrine Bisson et Louis Champagne, l'homme nous chante sa complainte d'un trentenaire mal dans sa peau et incapable de composer avec le bébé à naître de sa conjointe (Blais) qui le met à la porte dans une scène particulièrement relevée.

Lancé en première mondiale en mars dernier au festival Regard sur le court à Saguenay, le film en est reparti avec deux prix. À cela s'ajoutent trois autres prix et une mention au dernier gala Prends ça court et, surtout, une sélection à la Quinzaine des réalisateurs, section parallèle du Festival de Cannes actuellement en cours.

Si les deux réalisateurs du film, Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné, ont mis un seul mot dans leurs bagages, eux qui quittent Montréal aujourd'hui pour la Croisette, c'est : région. Car, habitant tous deux à Saguenay, Roy et Gagné croient fermement à l'idée de mettre en images des histoires filmées en région. Mais aussi des histoires dont la texture est résolument d'une couleur locale.

« Il était important pour nous de tourner au Saguenay, dit Philippe David. Ça fait partie de nous, de l'univers de ce film comme de l'univers de Dany. On a donc tourné à Chicoutimi, Jonquière, Laterrière, La Baie, toutes les villes formant maintenant Saguenay. »

« Tourner à Saguenay, c'est mettre de l'avant ses habitants, ses paysages et la musicalité de la langue qui n'est pas transposable ailleurs », ajoute Jean-Marc.

Que Dany Placard soit lui aussi natif du coin constitue une valeur ajoutée. « Dany représente l'archétype du Saguenéen qui roule en pick-up, qui garde son accent et ses expressions », fait remarquer Philippe David Gagné.

C'est en revenant du Festival du DocuMenteur, présenté en Abitibi, que les deux réalisateurs ont eu l'idée de créer un film chanté en écoutant les pièces de Placard. Ils chantaient à tue-tête dans leur voiture et se sont soudain rendu compte que la musique de Placard rejoignait parfaitement leur univers de cinéastes. Ils ont pris contact avec lui et le projet s'est mis en marche.

Joint par courriel, Dany Placard s'incline devant leur audace. « C'est deux gars-là sont bourrés de talent, tant au niveau de l'image que de l'originalité, nous écrit-il. Je me suis lancé dans cette expérience les yeux fermés. Au niveau de la création, les gars m'ont bien dirigé. Ce fut un honneur et un plaisir de travailler avec eux. »

Joint aussi par La Presse, le cinéaste Sébastien Pilote, qui demeure et tourne au Saguenay et dont le film Le démantèlement s'est rendu à Cannes il y a deux ans, salue également le travail de MM. Roy et Gagné.

« Je ne suis pas étonné que les sélectionneurs de la Quinzaine soient tombés sous le charme de Bleu Tonnerre, que j'ai moi-même vu au festival de Saguenay, dit-il. C'est un film qui étonne et qui charme. Une narration en chansons dans l'esprit des films de Jacques Demy et qui se déroule au Saguenay, il fallait quand même le faire ! »

La lutte

Outre ses errements, le personnage de Bruno caresse le projet de retourner faire de la lutte sous son pseudonyme de Blue Thunder. De là le titre francisé du film.

L'idée vient de Jean-Marc E. Roy, amateur de lutte depuis toujours. « J'aimais bien le lutteur canadien Owen Hart qui a durant un moment travaillé sous le nom de Blue Blazer et qui est mort dans le ring [en essayant de faire une descente en rappel : NDLR], dit M. Roy. J'ai donc proposé le personnage de Blue Thunder en sa mémoire. »

Or, la lutte est aussi un autre clin d'oeil à la région de Saguenay dans le film. Car la ville possède sa micro-ligue de lutteurs amateurs qui se battent dans un ancien garage. L'endroit a d'ailleurs été retenu par les cinéastes pour tourner les scènes de lutte. Les figurants sont, dans la vraie vie, des habitués des lieux.

« Ça fait partie du patrimoine génétique du Saguenay d'avoir ce côté kitsch assumé », dit Jean-Marc E. Roy qui affectionne ce côté authentique.

Bleu Tonnerre est produit par Gabrielle Tougas-Fréchette et Ménaïc Raoul de Voyelles Films, jeunes femmes visionnaires qui ont aussi produit les courts métrages Ce n'est rien de Nicolas Roy et Avec Jeff, à moto de Marie-Ève Juste, tous deux présentés à Cannes ces dernières années. La distribution est par ailleurs assurée par Marie-Pier Barrette de Travelling.

FUTURS PROJETS

Ils aiment visiblement travailler ensemble et partagent plusieurs autres projets. Cet été, ils participeront à la caravane du Wapikoni mobile, organisme allant à la rencontre des Premières Nations afin de créer des films. Mais Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné ont aussi des projets individuels. Voici ce sur quoi ils travaillent.

DOCUMENTAIRE SUR ANDRÉ FORCIER

Jean-Marc E. Roy développe un long métrage documentaire sur le cinéaste André Forcier, dont le travail l'a beaucoup poussé à devenir cinéaste. « Je fais un film en 15 tableaux qui représentent mes souvenirs de 14 longs métrages et un court métrage de Forcier », dit M. Roy, qui a été collaborateur au scénario de deux films du cinéaste dans le passé.

Les deux hommes se connaissent donc bien et Forcier se prête au jeu de M. Roy. Ce dernier ajoute qu'il y aura de la mise en scène dans son documentaire. Pour chaque tableau, on retrouvera deux acteurs ayant joué des personnages des oeuvres revisitées. Le projet est à la fois audacieux et très original.

LONG MÉTRAGE DE FICTION

« Depuis deux ans, je suis en écriture d'un film intitulé Boutefeu, dit Philippe David Gagné qui signera ici son premier long métrage de fiction. Boutefeu est un autre mot pour dynamiteur. Ça raconte l'histoire d'un dynamiteur du Saguenay qui a soudainement la garde de son enfant qu'il n'a pas élevé. Cette situation secoue les fondements de sa famille et le fait, métaphoriquement, exploser. »

Le film, qui sera produit par La Boîte à Fanny (Fanny-Laure Malo), devrait faire l'objet d'un dépôt à la production cet automne. « J'aimerais idéalement pouvoir tourner le film en 2016 », ajoute M. Gagné.