Un film « utile » sur la délinquance juvénile a ouvert le 68e Festival de Cannes. Mettant en vedette Catherine Deneuve, La tête haute, un drame social de belle tenue, a été présenté lors d'une cérémonie où l'on a particulièrement rendu hommage aux femmes et aux actrices.

Au moment de l'annonce de la sélection du film d'ouverture, la direction du Festival de Cannes a créé la surprise. Plutôt que de choisir une production à grand déploiement, venue de Hollywood ou d'ailleurs, le délégué général Thierry Frémaux a jeté son dévolu sur un drame social français : La tête haute.

Même si le film d'Emmanuelle Bercot (Elle s'en va) met en vedette Catherine Deneuve, l'une des grandes icônes du cinéma français, il reste que ce choix appelle une tonalité nettement différente de celle de The Great Gatsby il y a deux ans, ou Grace of Monaco, l'an dernier.

Lors de la conférence de presse de l'équipe du film, l'actrice voyait en cette sélection une « réponse » aux récents événements qui ont secoué la société française.

« L'année fut assez difficile en Europe et en France, a-t-elle souligné. Je trouve intéressant qu'un grand festival de cinéma s'ouvre avec un film comme celui-là, un film utile. Avec quelque chose de plus grave que ce que le Festival choisit habituellement. »

Dans La tête haute, Catherine Deneuve incarne une juge au tribunal des mineurs. La magistrate voit donc passer dans son bureau des cas lourds au coeur desquels se trouvent des enfants. Délinquance, violence physique et morale, etc.

Certains jeunes sont récupérables, d'autres non. Le récit s'attarde de façon plus précise au cas de Malony, un garçon en colère que la juge suit depuis la petite enfance. Avec des crises, des moments d'apaisement, des rechutes.

À cet égard, la violence intérieure qui anime le jeune garçon, interprété avec fougue par Rod Paradot, n'est pas sans rappeler celle de Steve (Antoine Olivier Pilon) dans Mommy.



Des moments forts

Pour bien préparer son rôle, Catherine Deneuve a tenu à assister à de vraies audiences afin que son portrait soit le plus authentique possible.

« Je me suis rendue plusieurs fois au tribunal de Paris, simplement pour entendre et découvrir la réalité d'un métier qu'on ne connaît pas, a-t-elle expliqué. Ce que j'ai vu m'a beaucoup intéressée. Je ne m'attendais pas à ce que tous les intervenants aient une telle qualité d'écoute. Les rapports sont beaucoup moins brutaux que ce que j'aurais pu imaginer. Cela a sûrement influencé mon approche. »

Emmanuelle Bercot, la réalisatrice, emprunte ici un peu la même démarche que dans Polisse, un film qu'elle avait coécrit avec Maïwenn (qui en signait la réalisation).

Cette plongée dans le monde désespérant du désamour est parsemée de moments très forts, mais on sent parfois une volonté plus artificielle de tirer le récit vers la lumière coûte que coûte. Le film est toutefois bien servi par les compositions solides de Catherine Deneuve, Rod Paradot, Sara Forestier et Benoît Magimel.

Voyant en ce film un écho aux attentats de janvier, à Paris, même s'il a été conçu et tourné bien avant, Emmanuelle Bercot a de son côté lancé un vibrant plaidoyer pour l'éducation.

« L'éducation est un droit fondamental pour les enfants, a-t-elle déclaré. Quand les parents ne sont pas en mesure d'éduquer leurs enfants, la société a le devoir de le faire à leur place. Les jeunes responsables des attentats n'ont été ni protégés ni éduqués. Or, il y a des gens dans le système judiciaire qui ont la vocation de s'occuper des enfants maltraités et délaissés. J'ai voulu rendre hommage à ces travailleurs de l'ombre à travers ce film. »

Une cérémonie en hommage aux femmes

Le 68e Festival de Cannes a été déclaré officiellement ouvert par l'actrice Julianne Moore, lauréate du Prix d'interprétation féminine l'an dernier grâce à sa performance dans le film de David Cronenberg Maps to the Stars. Le laurier lui a d'ailleurs été remis hier soir.

Le maître de cérémonie Lambert Wilson, tout en élégance et en verve, a tenu à rendre hommage aux actrices et aux femmes de cinéma.

« La femme, l'actrice, est le symbole de l'amour sur lequel tout entier repose le cinéma, a-t-il déclaré. À l'heure où certains, et je dis bien certains, voudraient la cacher, la bâillonner, la tenir dans l'ombre, la rendre captive, la violer, la mutiler, la vendre comme une marchandise, le cinéma, lui, la met en lumière, la révèle, la réveille. »

Lambert Wilson animera aussi la cérémonie du palmarès, le 24 mai.

PHOTO RÉGIS DUVIGNAU, REUTERS

Honorée lors de la cérémonie d'ouverture animée par Lambert Wilson, l'actrice Julianne Moore a déclaré hier le Festival de Cannes officiellement ouvert. 

CANNOISERIES

Méchant? Du moment que c'est drôle!

À la fin de la conférence de presse de l'équipe du film La tête haute, un journaliste du Hollywood Reporter a posé une question à Catherine Deneuve à propos de la caricature - peu flatteuse - dont elle fait l'objet en couverture du numéro spécial sur Cannes de Charlie Hebdo. «Si c'est méchant, j'espère au moins que c'est drôle!», a lancé l'icône du cinéma français, ajoutant ne pas l'avoir encore vue.



PHOTO ÉRIC GAILLARD, REUTERS

L'actrice Leïla Bekhti prend la pose pour les photographes à son arrivée à la projection du film La tête haute d'Emmanuelle Bercot.

Non aux «selfies»

Le délégué général Thierry Frémaux a dénoncé hier la pratique du «selfie», en la qualifiant de «ridicule et grotesque». «Vous n'êtes jamais aussi laid que quand vous apparaissez dans un selfie», a-t-il déclaré. La manoeuvre avait pour but de décourager la pratique sur le tapis rouge et sur les marches menant au Grand Auditorium Lumière. La direction sait qu'elle ne peut interdire cette pratique, mais espère que le message soit entendu.



Une Palme d'honneur pour Agnès Varda


À 86 ans, la célèbre réalisatrice Agnès Varda obtiendra le 24mai une Palme d'honneur. Ce laurier, décerné par le conseil d'administration du Festival de Cannes, a pour but de célébrer un cinéaste de renom, dont l'oeuvre fait autorité dans le monde, mais qui n'a jamais eu une Palme d'or. Seuls trois autres cinéastes ont eu droit au même honneur: Woody Allen (2002), Clint Eastwood (2009) et Bernardo Bertolucci (2011). «Jamais mes films n'ont approché le nombre d'entrées des leurs», a dit Agnès Varda.

PHOTO ANNIE-CHRISTINE POUJOULAT, AFP

Les frères Ethan et Joel Coen, présidents du jury, applaudissent lors de la cérémonie d'ouverture.