Cela se passe au bout du monde, mais pourrait arriver partout ailleurs. Léviathan du russe Andreï Zviaguintsev, présenté vendredi en compétition à Cannes, traite du combat d'un homme ordinaire confronté au rouleau compresseur d'un État tout-puissant.

Andreï Zviaguintsev participe pour la deuxième fois à la compétition cannoise cette année après «Le bannissement» en 2007 (prix d'interprétation masculine).

Léviathan raconte le destin de Kolia (Alexeï Serebriakov) qui mène une vie paisible dans une petite ville au bord de la mer de Barents, dans le nord de la Russie, avec sa deuxième femme et son fils né d'un premier mariage.

Une vie simple dans des paysages à couper le souffle, à la fois glaçants et envoûtants, face à une mer agitée dans laquelle croisent des baleines.

Mais le maire de la ville (Roman Madianov), corrompu jusqu'à l'os, jette son dévolu sur sa maison et son terrain pour un projet immobilier. Aidé d'un ami moscovite avocat, Dmitri (Vladimir Vdovitchenkov), Kolia se défend bec et ongles devant les tribunaux, s'attirant les foudres des autorités.

Andreï Zviaguintsev a expliqué à la presse avoir été inspiré par un fait divers survenu au Colorado. Un homme s'était révolté contre le pouvoir de l'Etat et l'entreprise qui voulait l'exproprier.

«C'est une histoire qui peut se dérouler partout», a relevé le cinéaste, inspiré également par le Livre de Job dans ce film empreint de religion.

«Léviathan» parle frontalement d'une justice sourde, d'une police expéditive, de politiciens véreux et plus généralement d'un État invincible. Le simple citoyen doit choisir entre courber l'échine ou essayer de vivre libre, à ses risques et périls.

Vodka sans modération

Film noir, Léviathan est néanmoins ponctué de notes d'humour, «une dose de comique pour que ce soit supportable», a souligné le cinéaste. À commencer par la consommation totalement immodérée de vodka par tous les protagonistes.

Les journalistes ont bombardé le réalisateur de questions sur sa liberté d'action pendant le tournage.

Andreï Zviaguintsev s'est alors mis à manier la langue diplomatique.

Il a rappelé que le ministre russe de la Culture, auquel le long métrage avait été montré il y a quelques jours, avait évoqué «un film talentueux mais qui ne lui plaisait pas» a rapporté Andreï Zviaguintsev.

Son objectif, a-t-il souligné, «n'était pas le moins du monde une confrontation avec le pouvoir, d'autant que le film a été soutenu par le ministère et le fonds du cinéma» (35% du budget du film).

«Nous verrons comment il sera reçu en Russie. Ce film va représenter un défi», a enchaîné le producteur, qui prévoit une sortie en septembre.

En tout état de cause, le réalisateur a assuré qu'il avait «la ferme intention de continuer à vivre dans son pays et de continuer à y faire du cinéma».

Il a d'ailleurs plusieurs projets en cours. «Nous espérons bien qu'ils seront réalisés. Je ne vois aucun obstacle pour s'opposer à cela», a-t-il dit.

Sauf peut-être la nouvelle loi russe qui bannit les mots grossiers dans les films. Or Léviathan en est truffé. Mais Andreï Zviaguintsev espère passer entre les gouttes avant l'entrée en vigueur de la loi «au 1er juillet».

En Russie, certains journalistes imaginent déjà une Palme d'or pour Léviathan. C'est «le portrait le plus pertinent de la Russie de 2014», dit l'un d'eux.