À bientôt 78 ans, le Britannique Ken Loach revient sur la Croisette avec Jimmy's Hall et un héros comme il les aime, charismatique chantre de la liberté et de l'égalité sociale confronté à l'Irlande ultra-catholique des années 30.

Le spécialiste des fables sociales a planté ses caméras dans l'Irlande rurale de 1932, 10 ans après la guerre d'indépendance contre Londres qui lui avait inspiré Le vent se lève, Palme d'or 2006.

C'est le même scénariste, Paul Laverty, qui a recréé, «très librement», un épisode de la vie de Jimmy Gralton, «le seul Irlandais à avoir été expulsé de son propre pays sans procès», dit-il à la presse. Et cela sans l'aide des documents officiels qui ont «mystérieusement disparu... Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour effacer son histoire».

Quelques coupures de journaux et des témoignages de la famille ont donc servi de trame à Paul Laverty pour redonner vie à ce champion de la liberté d'expression et de la joie de vivre, confronté à la toute-puissance de l'Église et des grands propriétaires.

«C'est l'alliance contre-nature de l'Église catholique et de ceux qui possèdent la terre qui existe toujours aujourd'hui dans de nombreux endroits», souligne Ken Loach.

L'acteur irlandais Barry Ward, qui a mené une carrière au cinéma et à la télévision, prête son corps de danseur et son visage aigu à Jimmy, qui revient au pays après 10 ans d'exil et mille métiers aux États-Unis, pour aider sa mère dans la ferme familiale.

Mettre sa vie en danger

Après New York, le charleston et les gratte-ciel, Jimmy retrouve le comté de Leitrim, au nord-est de la république irlandaise, où l'on se déplace toujours en calèche et où les jeunes sont privés du rêve américain par la Grande dépression.

«On est coincé ici», dit l»un d'eux, un écho à ce qui arrivera à l'Irlande 80 ans plus tard, subissant encore une fois les contrecoups d'une crise américaine, celle des subprimes, note le réalisateur.

Ils demandent à Jimmy de rouvrir le «hall» qu'il avait construit sur ses terres il y a dix ans, sorte de foyer pour tous où l'on danse, apprend la musique ou le dessin, récite des poèmes. Et se sensibilise à la politique.

Avec son gramophone, Jimmy fait découvrir le jazz, les chanteurs noirs et les danses nouvelles, ce qui n'est pas du goût du père Sheridan (Jim Norton).

Également en compétition officielle, Timbuktu, le film du Mauritanien Abderrahmane Sissako, montre lui des Jihadistes qui traquent et punissent la moindre note de musique ou la danse.

Dans Jimmy's Hall, le curé note un par un les noms de ceux se rendant dans ce lieu de perdition avant de tonner en chaire contre cet «appétit pour le plaisir» qui détruit «les vraies valeurs irlandaises». «L'extravagance de son langage fait sourire, même s'il est complètement sérieux», dit Ken Loach à l'AFP.

Le hall cristallise vite la haine de tous ceux tenaillés par la peur du communisme, y compris des groupuscules fascistes, alors que les villageois, emmenés par Jimmy, n'hésitent pas à braver le hobereau local pour réinstaller de force dans son cottage un fermier qu'il venait d'expulser.

Ce film, dit Ken Loach, est un hommage aussi à tous ceux qui aujourd'hui «mettent leur vie en danger», citant Chelsea Manning, ancienne militaire américaine ayant transmis des documents secrets à Wikileaks, ou «ces femmes faisant face à un terrible destin parce qu'elles veulent recevoir une éducation»,  comme ces lycéennes enlevées au Nigeria.

Ken Loach avait annoncé qu'il s'agissait sûrement de son dernier film. Il n'en est plus si sûr: «je vais d'abord regarder le Mondial et on verra ce que l'automne apporte».