Luc et Jean-Pierre Dardenne font partie des princes de la Croisette. Leur toute première sélection en compétition officielle leur a valu une Palme d'or en 1999, l'année où un certain David Cronenberg présidait le jury. Depuis, les frangins belges sont revenus sur la Croisette avec tous leurs longs métrages. Et toujours en compétition.

Régulièrement primés à un échelon ou à un autre du palmarès (Le gamin au vélo leur a valu le Grand Prix il y a trois ans), ils ont obtenu une deuxième Palme d'or en 2005 grâce à L'enfant. Cette année-là, le président du jury était Emir Kusturica, autre membre très sélect du club des «doubles palmés».

Grâce à Deux jours, une nuit, un film extrêmement bien maîtrisé qui explore le thème de la solidarité humaine en temps de crise, les Dardenne pourraient bien entrer dans l'histoire. S'ils remportent la Palme d'or samedi - leur film est désormais l'un des favoris -, ils deviendraient du coup les tout premiers membres d'un nouveau club réservé aux triples lauréats de la Palme d'or.

Une composition vibrante

Porté par une composition aussi subtile que vibrante de Marion Cotillard - sérieuse candidate au prix d'interprétation -, Deux jours, une nuit s'inscrira dans le temps comme une oeuvre qui parvient à circonscrire parfaitement l'état d'esprit d'une époque. Sara (Cotillard), qui sort à peine d'une dépression, apprend le vendredi qu'elle est licenciée à la suite d'un pacte aussi odieux que cornélien, dessiné par un patron à ses employés.

Ce dernier avait en effet demandé à ses salariés de voter pour l'une des deux options suivantes: on licencie Sara et on conserve une prime de 1000 euros (1500 dollars environ) pour tous ceux qui restent, ou alors, Sara reste à son poste mais la prime disparaît.

Obtenant un sursis jusqu'à l'organisation d'un nouveau vote lundi, Sara entreprend d'aller convaincre un à un ses collègues pendant le week-end. Elle fera du porte-à-porte, ira d'humiliation en humiliation. Mais elle se rebâtira peu à peu une confiance. Et, surtout, un sens de la dignité.

Six ans après le début d'une crise qui n'en finit plus de finir, Deux jours, une nuit évoque les nouvelles difficultés qui se posent dans différents milieux de travail, mais laisse la part belle à des valeurs humaines qui traverseront les époques. Parce que nécessaires à la survie.

Nous sommes évidemment ici très loin d'un conte à la Disney (le dénouement est aussi étonnant que bouleversant), mais, en ces temps sombres, où la crise économique laisse encore des traces chez de trop nombreux individus, les Dardenne offrent un film magnifique, porteur d'espoir et de lumière.

Hymne à la solidarité humaine

«La crise n'est pas favorable à la solidarité, a expliqué Luc Dardenne lors de la conférence de presse d'équipe. Cela n'est pas un réflexe naturel. Ce fut toujours comme ça. Même dans les grands mouvements sociaux des années 60, l'ouvrier qui voulait faire la grève devait d'abord obtenir l'accord des siens avant de se commettre. C'est une décision qui change la vie des gens. Les syndicats offrent une compensation, mais le salaire reste inférieur. Dans ces conditions, il n'est pas évident d'être solidaire. Il s'agit davantage d'un acte moral sur lequel on ne peut porter de jugement.»

«Je ne crois pas que les gens soient moins solidaires qu'avant. Il est encore possible aujourd'hui de l'être. C'est ce que le film essaie de dire, en tout cas», a affirmé Luc Dardenne.

Marion Cotillard rêvait depuis toujours de tourner avec les frères Dardenne. Vu leur propension à travailler avec des acteurs peu connus, elle ne croyait pas que cette occasion s'offrirait à elle un jour.

«En tant que spectatrice, j'ai vu tous leurs films et je les ai tous aimés, a déclaré l'actrice. Pour atteindre ce qu'ils atteignent, il y a forcément une dose énorme de travail. À mes yeux, ce qu'ils font n'est pas seulement du cinéma d'auteur. On peut appeler cela du cinéma du réel, mais, encore là, leurs histoires sont toujours très cinématographiques. On sent qu'ils veulent faire vivre quelque chose d'exceptionnel au spectateur. En tout cas, pour moi, ce fut une expérience bouleversante, enrichissante. Et l'une des plus belles expériences cinématographiques de ma carrière, sinon la plus belle.»

Un Tree of Life nippon

Naomi Kawase, lauréate en 1997 de la Caméra d'or - prix remis au meilleur premier film toutes sections confondues - grâce à Suzaku, est elle aussi une habituée de Cannes. La forêt de Mogari lui a notamment valu le Grand Prix en 2011 (partagé avec Le gamin au vélo des Dardenne).

La réalisatrice japonaise revient cette fois avec Still The Water, une espèce de Tree of Life nippon dans lequel la spiritualité et la nature s'harmonisent de belle façon.

Les plus beaux moments du film sont d'ailleurs ceux où l'auteure cinéaste s'attarde à montrer les rituels qui ponctuent le grand cycle de la vie. On retiendra notamment cette scène, magnifique, où des gens de tous âges accompagnent en dansant une souffrante dans son passage vers la mort.

Le film comporte certains aspects un peu appuyés, mais il se révèle grandiose sur le plan visuel par moments. Certains accordaient déjà la Palme à ce film contemplatif, taillé sur mesure pour le circuit des festivals.

«C'est non négociable», a même écrit une critique française sur les médias sociaux. Oui, Still The Water est un beau film. Mais quand même, calmons-nous.