En conférence de presse au Festival de Cannes où il présente en compétition son film Timbuktu, le réalisateur Abderrahmane Sissako a été étranglé par l'émotion, fondant en larmes alors qu'il décrivait la façon dont son long métrage raconte les lois islamistes brutales qui ont ruiné la vie d'innombrables familles.

«C'est difficile... Nous devenons de plus en plus indifférents aux horreurs si nous ne faisons pas attention», a lancé Sissako.

Les blessures du conflit au Mali - qui a fait les manchettes en 2012-2013 après que l'armée française fut intervenue pour chasser les islamistes étrangers - sont toujours vives. Et le long métrage du réalisateur, en lice pour la Palme d'Or, est le premier à se pencher sur la prise de contrôle de la ville de Tombouctou par des islamistes radicaux.

Sissako, qui est originaire de la Mauritanie, raconte l'histoire d'une famille unie plongée dans la tourmente lorsque le père, Kidane (Ibrahim Ahmed), tue accidentellement un pêcheur. La séquence, présentée silencieusement en un long plan, est l'une des plus puissantes du film.

Les histoires parallèles ont autant d'impact. Les punitions servies par les djihadistes aux habitants de Tombouctou pris à écouter de la musique ou jouer au soccer incluent la lapidation, l'exécution ou les coups de fouet. Et le traitement froid de Sissako les rend encore plus choquantes.

Mais ce qui empêche le film de se noyer dans ses lamentations est son humour.

Les djihadistes se battent contre des signaux cellulaires déficients ou débattent avec agressivité des mérites de la star française du soccer Zinedine Zidane. Ailleurs, dans une autre scène mémorable du film, de jeunes garçons contournent les restrictions en jouant au soccer avec un ballon imaginaire.

«Dans chaque être il existe une complexité, il y a le bon et le mauvais. Un djihadiste est un individu dans lequel on peut voir une partie de nous-mêmes», a expliqué Sissako.

Le projet - fait avec amour - nécessitait une bonne dose de courage.

Sissako avait prévu tourner son film au Mali mais avait dû annuler son projet après un sursaut de violence en septembre 2013. Le gouvernement de son pays d'origine, la Mauritanie voisine, lui a heureusement offert une terre d'accueil sécuritaire pour le tournage de son film. Sissako reconnaît que même dans ce pays, le tournage comportait des risques.

Le cinéaste n'aime toutefois pas que l'on dise qu'il s'agit d'un film courageux.

«Les personnes vraiment courageuses sont celles qui l'ont vécu», a-t-il souligné.