Tami et Moshe n'ont pas une relation de couple très saine: il est brutal, il la trompe. Elle est boulimique et se taillade les bras en l'attendant à la maison. En plus, ils sont père et fille.

La réalisatrice israélienne Keren Yedaya a frappé un grand coup au festival de Cannes où son film Loin de mon père (That Lovely Girl) sur l'inceste, sélectionné dans la catégorie Un certain regard, a été présenté jeudi.

La caméra ne quitte guère le petit appartement de Tel Aviv où vit le couple. Jolie rondelette d'une vingtaine d'années, Tami (Maayan Turgeman) ne travaille pas et y attend Moshe (Grad Tzahi), la cinquantaine encore verte, qui compte sur elle pour le servir, à la cuisine et au lit.

On ne sait pas depuis quand dure cette relation, ni où est passée la mère, mais le couple est bien installé.

Tami n'est pas heureuse: elle mange trop, puis vomit et se brosse inlassablement les dents. Si Moshe ne rentre pas le soir, elle se taillade encore et encore les bras, pour que Moshe puisse la panser tendrement le lendemain matin.

Moshe, lui, ne voit pas trop où est le problème. «On mérite d'être normaux», dit-il, rêvant de partir vivre à Los Angeles: «là-bas, il y a des gens comme nous et on n'en fait pas toute une histoire».

Mais quand Moshe invite à dîner à la maison une autre femme, Tami disjoncte.

Brisera-t-elle ses chaînes?

«Bien sûr que c'est un film féministe», dit à l'AFP Keren Yedaya, dont le premier long métrage Mon trésor avait reçu la Caméra d'or en 2004.

Mais pas question d'y voir particulièrement un reflet de la situation des femmes en Israël: «L'inceste, le viol, les femmes battues ou la prostitution, cela existe n'importe où», affirme-t-elle.

Le cinéma israélien en forme

«Oui, bien sûr, il y a de l'amour aussi, mais ce n'est pas une histoire d'amour. Ce qui est important, c'est de parler de l'amour que portent les enfants envers leurs parents qui les violent ou les battent. C'est pour cela que c'est si dur pour eux de s'enfuir ou de porter plainte».

«Tami est troublée. Elle pense que c'est de sa faute», souligne la réalisatrice israélienne, l'une des cinq à présenter une oeuvre à Cannes.

Deux autres films israéliens figurent dans «la Semaine de la critique»: Self Made de Shira Geffen - l'histoire de deux femmes, l'une Israélienne l'autre Palestinienne, qui «échangent leurs vies» à un checkpoint - et hors compétition L'institutrice de Nadav Lapid, son deuxième film après Policeman.

Enfin, Gett, le procès de Viviane Amsalem, écrit et réalisé par l'actrice Ronit Elkabetz, star en Israël, et son frère cadet Shlomi, ainsi que Next to Her d'Assaf Korman seront présentés à la Quinzaine des réalisateurs, autre section parallèle au Festival.

«Le cinéma israélien se porte bien depuis les années 2000, dit Keren Yedaya, quand le gouvernement israélien a décidé de donner plus d'argent. Quand on a plus de films, certains sont forcément bons».

Elle prépare déjà son prochain film, «une bande de femmes qui casse du méchant... à mi-chemin entre du cinéma d'auteur et de la série B trash».

Elle le tournera avec son mari, le réalisateur Meni Yaesh, Grand prix de la Semaine de la critique pour Les voisins de Dieux (2012).