Incontestablement, La vie d'Adèle - Chapitre 1 et 2 aura marqué l'histoire du 66ème Festival de Cannes. L'extraordinaire film d'Abdellatif Kechiche (L'EsquiveLa Graine et le mulet) s'est nettement démarqué par sa qualité, son audace. Il marquera également l'histoire du cinéma car pour une très rare fois, la Palme d'or a été exceptionnellement attribuée à trois artistes: Abdellatif Kechiche bien sûr, mais aussi Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, les deux époustouflantes actrices en vedette dans cette vibrante histoire amour qu'est La vie d'Adèle.

«À nos yeux, les deux actrices sont indissociables du travail du metteur en scène dans ce long métrage, a expliqué Steven Spielberg, le président du jury. Elles sont en synergie totale avec lui. Sans elles, ce film n'aurait pas pu être ce qu'il est. Dans une oeuvre comme celle-là, il suffirait que les actrices soient un peu décalées, ne serait-ce que d'une marge de 3%, pour que ça rate. Dans La vie d'Adèle, on assiste à une réunion parfaite, fusionnelle, entre deux actrices et un cinéaste. C'est renversant.»

Rappelons que le règlement du festival stipule qu'un jury ne peut décerner plus d'un prix à un long métrage. En prenant cette mesure exceptionnelle, le jury a ainsi pu distinguer les actrices sans compromettre les chances de La vie d'Adèle pour le plus prestigieux laurier du monde du cinéma. Les acteurs Nicole Kidman, Vidya Balan, Christoph Waltz et Daniel Auteuil, de même que les cinéastes Lynne Ramsay, Naomi Kawase, Cristian Mungiu et Ang Lee, entouraient cette année le président Spielberg.

Un rare consensus

Même s'il affirme n'avoir rien lu en ligne ou sur papier depuis 12 jours et s'être pratiquement coupé du monde, le réalisateur de Lincoln en est arrivé à la même conclusion que les journalistes (La vie d'Adèle a aussi obtenu le prix de la critique internationale) et la vaste majorité des festivaliers. Rarement un film s'est-il imposé de façon aussi claire, aussi évidente sur la Croisette.

Revisitant le roman graphique de Julie Maroh Le bleu est une couleur chaude, l'auteur cinéaste suit le parcours d'Adèle (Adèle Exarchopoulos), une jeune femme d'abord peu sûre de son orientation sexuelle. Sa rencontre avec Emma (Léa Seydoux), une artiste peintre qui ne fréquente pas le même monde, scellera son destin. Le sentiment amoureux qu'elles éprouvent l'une pour l'autre est immédiat, puissant, charnel, torride, évident. Kechiche décrit cette relation dans tous ses aspects. Il filme notamment les ébats sexuels des deux femmes de façon aussi réaliste que lumineuse.

«Avant tout, ce film nous propose une très grande histoire d'amour, a renchérit Spielberg. Nous nous sentions privilégiés d'être invités en témoins, pas gênés. Abdel fait écho à un amour profond, qui peut aussi parfois provoquer de profondes blessures.»

De son côté, Abdellatif Kechiche a tenu à dédier sur scène sa Palme d'or à «cette belle jeunesse de France» rencontrée pendant la réalisation de ce film, ainsi qu'à «une autre jeunesse, de la révolution tunisienne, pour leur aspiration à vivre eux aussi librement, et aimer librement».

D'autres oeuvres primées

La vie d'Adèle survolant toutes les oeuvres présentées dans la compétition, les autres films figurant au tableau d'honneur ont été primés avec un peu moins d'éclat. Le jury a décerné son Grand Prix à Inside Llewyn Davis de Joel et Ethan Coen, un film tendre et drôle qui, avant que n'arrive Adèle, avait fait consensus.

Bérénice Bejo, formidable dans Le passé, nouvelle offrande de l'Iranien Asghar Farhadi, a obtenu - à sa grande surprise - le prix d'interprétation féminine. Le prix d'interprétation masculine, pour lequel plusieurs candidats se bousculaient au portillon, a été attribué à Bruce Dern, formidable en vieillard un peu perdu dans le film d'Alexander Payne Nebraska.

Le prix du scénario est allé à l'auteur cinéaste chinois Jia Zhangke pour le film A Touch of Sin, et le prix du jury a été remis à Hirokazu Kore-Eda pour Tel père, tel fils, un film qui aborde le thème de l'enfance. On soupçonne Steven Spielberg d'y avoir été particulièrement sensible.

Le seul prix plus discutable fut celui de la mise en scène, remis au jeune cinéaste mexicain Amat Escalante. Peu d'observateurs voyaient son film Heli figurer au palmarès.

Même si des films méritoires ont été oubliés (surtout La grande bellezza de Paolo Sorrentino et Only Lovers Left Alivede Jim Jarmusch), ce palmarès a ravi les festivaliers dans l'ensemble.

Signalons par ailleurs que le prix de la section Un certain regard est allé à L'image manquante, un documentaire de Rithy Panh sur le régime de Pol Pot au Cambodge. Le film Sarah préfère la course, de la Québécoise Chloé Robichaud, a été présenté dans cette section.

Photo: Reuters

Hirokazu Kore-Eda

Le palmarès

> PALME D'OR

La vie d'Adèle - Chapitre 1 et 2 (Blue Is The Warmest Colour), réalisé par Abdellatif Kechiche, avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux

> GRAND PRIX

Inside Llewyn Davis, réalisé par Ethan Coen et Joel Coen

> PRIX DE LA MISE EN SCÈNE

Amat Escalante pour Heli

> PRIX DU JURY

Soshite Chichi Ni Naru (Like Father, Like Son/Tel père, tel fils), réalisé par Kore-Eda Hirokazu

> PRIX DU SCÉNARIO

Jia Zhangke pour Tian Zhu Ding (A Touch Of Sin)

> PRIX D'INTERPRÉTATION FÉMININE

Bérénice Bejo dans Le passé (The Past), réalisé par Asghar Farhadi

> PRIX D'INTERPRÉTATION MASCULINE

Bruce Dern dans Nebraska, réalisé par Alexander Payne

> PALME D'OR - CATÉGORIE COURTS MÉTRAGES

Safe, réalisé par Moon Byoung-gon

> MENTION SPÉCIALE - CATÉGORIE COURTS MÉTRAGES (ex-aequo)

Hvalfjordur (Whale Valley/Le fjord des baleines), réalisé par Gudmundur Arnar Gudmundsson, et 37°4 S, réalisé par Adriano Valerio