Il a beau être né en France, le pays où la plupart de ses films ont été produits, Roman Polanski aura quand même attendu d'avoir atteint l'âge de 79 ans avant de tourner un long métrage en langue française. Ironie du sort, La Vénus à la fourrure est l'adaptation d'une pièce écrite en anglais par le dramaturge américain David Ives.

«La motivation de tourner ce film en français vient justement du fait que je ne l'avais jamais fait auparavant!, a déclaré le cinéaste lorsque la question lui fut posée par La Presse après la première projection. En lisant la pièce, je me disais: voilà un truc pour Emmanuelle. Mais pour qu'elle puisse bien exprimer le personnage, il fallait que ce soit en français.»

Dans cette partition pour deux personnages, Emmanuelle Seigner, qui retrouve le metteur en scène de Lune de fiel pour une quatrième fois, est vraiment épatante face à Mathieu Amalric. Elle pourrait même être sérieusement considérée par le jury pour un prix d'interprétation. Amalric, toujours impeccable dans un rôle en forme d'alter ego, affiche de son côté une ressemblance physique avec le cinéaste.

«Ma mère vient ce soir. Donc, elle m'expliquera!», a lancé l'acteur.

La veine théâtrale

Après Carnage, Polanski, vraiment en belle forme, poursuit dans sa veine théâtrale en décrivant cette fois la rencontre inattendue entre une actrice et un metteur en scène dans un théâtre parisien à la suite d'une longue journée infructueuse. Alors qu'il s'apprête à partir, Thomas (Mathieu Amalric) voit débarquer Vanda (Emmanuelle Seigner) dans son théâtre délabré. Cette jeune femme plutôt vulgaire lui réclame l'audition qu'elle aurait en principe dû passer deux heures plus tôt. D'évidence, cette actrice inconnue ne convient pas du tout, mais à force d'insistance, Thomas se laisse convaincre.

Il se trouve que la jeune femme se métamorphose complètement dès qu'elle entre dans la peau du personnage, aussi prénommé - un hasard - Vanda. Elle connaît sur le bout des doigts le roman de Sacher-Masoch duquel Thomas s'est inspiré pour écrire sa pièce. Dès lors s'installe un jeu de pouvoir et de manipulation entre une actrice pas si idiote qu'elle en a l'air et un metteur en scène complètement subjugué par ce qu'il voit. Vanda en viendra à dominer complètement la situation. Du moins, en apparence.

«On m'a présenté le scénario à lire ici même l'an dernier, alors qu'une version restaurée de Tess faisait l'objet d'une présentation à Cannes Classics, rappelait Roman Polanski. J'ai beaucoup ri en lisant le manuscrit, mais très vite, l'idée m'est venue de planter l'intrigue dans un décor de théâtre plutôt que dans un local où l'on fait passer des auditions. Et me voici, à peine un an plus tard, de retour à Cannes pour présenter La Vénus à la fourrure en compétition. Parfois, les choses se mettent en place facilement et rapidement.»

La Vénus à la fourrure répond aussi à une vieille envie du cinéaste: tourner un film avec seulement deux acteurs.

«C'est une ambition que j'ai depuis mon premier film Le Couteau dans l'eau, qui en comptait trois!, explique-t-il. C'est un vrai défi de ne pas ennuyer le spectateur dans un tel contexte. On doit le captiver avec seulement deux personnages, dans un seul lieu. J'aime ce genre de défi. Cela me ramène à l'époque de l'école de cinéma!»

Même si le projet fut mis en place en fonction d'elle, Emmanuelle Seigner n'aurait pas été séduite d'emblée à la lecture de la pièce.

«Le côté théâtral m'a fait peur, a-t-elle confié. J'ai été rassurée quand Roman m'a fait lire son scénario. Le processus d'une audition peut parfois être humiliant pour les actrices. Nous avons toutes vécu cela. À travers ce personnage, je venge peut-être toutes les actrices de la Terre!»

Un habitué de Cannes

Lauréat de la Palme d'or en 2002 grâce à The Pianist, Roman Polanski entretient des liens étroits avec le Festival de Cannes depuis toujours.

«J'étais étudiant quand j'ai fréquenté ce festival une première fois, dit-il. J'y prenais beaucoup plus de plaisir à l'époque, car je pouvais y circuler de façon complètement anonyme. Comme n'importe quel jeune homme qui voulait faire du cinéma, j'étais très excité d'être là. Ensuite, la carrière commence et le jeu des récompenses aussi. Quand The Tenant (Le locataire) a été présenté ici, ce fut un désastre. Les critiques ont été très mauvaises et je suis reparti d'ici humilié. Pour éviter pareil écueil en 2002, j'ai quitté Cannes tout de suite après la projection de The Pianist. On m'a incité à revenir le jour de l'annonce du palmarès. Cette année, si le film n'obtient pas de prix je pourrai toujours dire que j'ai déjà reçu une Palme d'or!»