Poseur ou auteur? Provocateur ou fumiste? À la sortie de la première projection d'Only God Forgives, les avis étaient partagés. Et très tranchés. Le cinéma de Nicolas Winding Refn, lauréat du prix de la mise en scène il y a deux ans grâce à Drive, ne laisse personne indifférent. Et ne suscite jamais de réactions tièdes.

Dans son thriller ultraviolent tourné à Bangkok, l'auteur cinéaste danois affiche évidemment un style incomparable, dans lequel il fait aussi valoir un sens esthétique très sûr. Mais «NWR» (comme il de bon ton de le nommer dans les milieux branchés) a-t-il vraiment quelque chose à raconter? Rien n'est moins sûr.

D'une vacuité abyssale, Only God Forgives s'étire sur 90 longues minutes comme une suite de tableaux dans lesquels les personnages semblent évoluer sur un rythme parallèle, coincés dans les limbes d'un univers où la quête spirituelle passe obligatoirement par des actes sanglants. Plusieurs festivaliers auront d'ailleurs détourné le regard à la vue de scènes de torture explicites, dont certaines donnent tout son sens à l'expression «être cloué sur son fauteuil».

Ryan Gosling, qui ne doit pas avoir plus de 15 répliques à dire (même s'il est pratiquement de tous les plans), dirige un club de boxe thaïlandaise après avoir fui la justice des États-Unis. L'entreprise de Julian sert en fait de couverture à son trafic de drogue. Son frère aîné, qui a massacré une mineure prostituée, ayant été assassiné, Julian voit sa mère (Kristin Scott Thomas) débarquer à Bangkok afin de réclamer vengeance. L'actrice franco-britannique campe d'ailleurs le personnage le plus intéressant du film. Et de loin le plus étonnant de sa carrière.

Ryan Gosling absent

Évidemment, tous les festivaliers attendaient la venue de Ryan Gosling à Cannes mais ce dernier a finalement dû annuler son voyage. Avant la conférence de presse, le délégué général Thierry Frémaux est d'ailleurs venu lire un mot envoyé par l'acteur canadien. Ce dernier explique être retenu à Détroit, où il tourne présentement How to Catch a Monster, son premier film à titre de réalisateur.

«Le personnage de Julian est en pleine quête spirituelle mais il ne sait pas où se diriger, a expliqué Nicolas Winding Refn. C'est la raison pour laquelle il évolue dans cet univers un peu comme le ferait un somnambule. Il est encore attaché au sein de sa mère et doit s'en libérer. Nous avons décidé d'éliminer pratiquement toutes ses répliques. J'estime que le langage du silence est beaucoup plus puissant, beaucoup plus poétique. Je voulais que le mysticisme et la réalité s'entremêlent dans le film.»

Dédié au cinéaste chilien Alejandro Jodorowsky, un artiste qui, selon Winding Refn, a su créer un langage original, loin de toutes les conventions, le film mise d'abord et avant tout sur des atmosphères. L'omniprésente trame musicale de Cliff Martinez se révèle très insistante à cet égard.

L'auteur cinéaste n'a pu envisager sa vision du film qu'une fois après avoir vu Bangkok la nuit. Il a même changé radicalement son approche.

«La première version du scénario était beaucoup plus logique, explique le réalisateur. Il y avait beaucoup d'explications. Puis, je me suis retrouvé en Thaïlande à une époque où je traversais moi-même une crise existentielle. Je ressentais de la colère en moi. J'ai transposé mes pulsions violentes dans cette histoire.»

Pourquoi tant de violence?

À une journaliste qui, justement, lui demandait comment il pouvait justifier une telle violence à l'écran, Nicolas Winding Refn a répondu ceci:

«J'ai l'impression d'entendre ma mère me poser cette question! L'art est un acte violent. C'est un acte de pénétration qui s'adresse aussi à notre subconscient. Il m'est difficile d'expliquer pourquoi je ressens le besoin d'explorer ce thème-là dans mes films. Je ne suis pas un homme violent dans la vie mais j'éprouve une fascination pour les émotions violentes et les images violentes. Je ne peux réprimer ces pulsions-là.

De son côté, Kristin Scott Thomas concède détester habituellement ce genre de films.

«Ce n'est pas le genre de cinéma que je préfère, pas du tout, a-t-elle déclaré. Mais j'avais envie de travailler avec Nicolas. J'avais vu Bronson, notamment, et je voyais beaucoup d'émotion derrière les actes violents qu'il décrit. Je voulais voir à quel point il serait intéressant de travailler avec lui, et d'incarner un personnage aussi sauvage.»

Ce personnage de mère, riche d'expériences dans les organisations criminelles, utilise d'ailleurs un langage rarement utilisé par les aristocrates qu'incarne habituellement l'actrice dans le cinéma anglo-saxon.

«Au fur et à mesure que le projet avançait, ce personnage devenait de plus en plus méprisable, ajoute-t-elle. Ce qu'elle dit est parfois très vulgaire. Je crois que pour une certaine réplique, que je serais incapable de répéter aujourd'hui en public, il m'aura fallu au moins huit prises avant de pouvoir la dire enfin!»

Distribué par Films Séville, Only God Forgives devrait en principe prendre l'affiche au Québec au cours de la saison estivale.