Ils tentent de préserver un mode de vie tandis que leur sol de glace fond sous leurs pieds: loin des tapis rouge, la Berlinale a raconté cette année la détresse des peuples de l'Arctique.

Dans le cadre de sa section NATIVe, le 67e festival du film de Berlin, seul évènement du genre en Europe ouvert au public, a proposé une série de films venus des latitudes les plus septentrionales, de la Scandinavie au Canada, en passant par la Sibérie, l'Alaska, l'Islande et le Groenland.

Là-haut, les peuples autochtones subissent en première ligne le changement climatique avec la fonte de la banquise et le dégel du permafrost. Mais ils sont aussi confrontés depuis des décennies au défi de préserver leur identité et parfois à un abandon forcé des modes de vie traditionnels.

Dans le documentaire Kaisa's Enchanted Forest, la cinéaste finlandaise Katja Gauriloff explore le monde perdu de sa grand-mère, véritable mémoire de la minorité Skolt Samid. Entre les journées idylliques au bord du lac l'été et les virées à dos de renne l'hiver, cette «mère-nature» dépeint une vie harmonieuse et dépouillée.

Un rêve brisé brutalement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand les Samis ont été victimes d'une politique d'assimilation forcée de la part du gouvernement finlandais.

«La raison pour laquelle je ne parle pas ma langue maternelle est là, illustrée dans ce film», dit la réalisatrice Katja Gauriloff dont le peuple ne compte plus que quelques centaines de représentants.

En sursis

Dans l'épopée The Tundra Book. A Tale of Vukvukai, le spectateur assiste à l'anéantissement d'un autre monde, cette fois-ci à l'extrême nord-est de la Russie.

Bien au chaud dans des yourtes, les membres du peuple Tchouktche prient leurs ancêtres alors que le vent glacial hurle dehors.

Des enfants, emmitouflés dans des combinaisons de peau et de fourrure font les fous dans la neige. Mais les voilà déjà emportés par les «oiseaux de fer», ces hélicoptères qui les ramènent pour dix mois par an dans les villes russes où ils sont scolarisés, loin de leurs familles et de leurs coutumes.

«Les femmes donnent naissance à des enfants que nous perdons (...) comment allons-nous survivre?», s'interroge dans le documentaire le chef de la tribu, Vukvukai, conscient que son mode de vie et sa langue sont en sursis.

L'autre grande menace pour les peuples de l'Arctique est la disparition de leur environnement, avec la fonte de la calotte polaire et du permafrost, ce sol gelé qui recouvre un quart de l'hémisphère nord.

Et les scientifiques redoutent que les quantités gigantesques de carbone libérées par la disparition du permafrost n'aggravent encore plus le changement climatique.

Mammouths et esprits maléfiques

D'ores et déjà, pour les peuples de l'Arctique, la situation est grave, avertit Viatcheslav Chadrine, le chef du conseil des anciens du peuple Youkaguir de Sibérie, invité au festival de Berlin.

«Certes, deux ou trois degrés de plus peuvent paraître dérisoires quand il fait -40°», dit-il.

«Mais le vrai problème, c'est l'instabilité climatique, la chasse, la pêche, l'élevage de rennes, tout repose sur notre capacité à prédire le comportement de l'animal en fonction du temps».

L'hiver dernier, à cause de chutes de neige précoces sur des régions où les lacs n'avaient pas encore eu le temps de geler, des villages coupés de tout ont été privés de ravitaillement pendant des mois. Les véhicules ne pouvaient pas passer. Quant aux villages construits au bord des rivières, ils sont presque chaque année inondés à cause de la fonte accélérée des glaces.

«Maintenant nos anciens disent que la nature n'a plus confiance en nous», raconte M. Chadrine.

Il note également que le dégel du permafrost a donné naissance à un trafic juteux: la contrebande des ossements de mammouths recrachés par ce sol chamboulé par le dégel.

Un sacrilège dont la nature se vengera, prévient-il.

«Pour nous, le mammouth est le dieu du monde sous-terrain, si vous prenez les ossements, vous ouvrez la porte de notre monde aux esprits maléfiques».